Reprise d'un vieux machin du 10 septembre 2008 (c'était le bon temps!). Le titre a pour but d’attirer l'attention des médiapartiens férus d’astronomie, qui ont bien, comme les autres, le droit de s’intéresser aux débats d’économie politique). Je numérote mes 12 paragraphes, de 0 à 11, pour la commodité des commentateurs éventuels. Certaines de mes formulations coutumières ont évolué, mais globalement je reste en accord avec le sens général du texte.
Quand les socialistes se rallient à l’économie de marché, ce n’est pas l’extension mondiale des échanges commerciaux qu’ils ont en tête, mais l’organisation économique de l’Europe (dont la France). Il n’y a que trois manières connues d’organiser ce que les économistes appellent « l’allocation des ressources rares », c’est-à-dire le rapprochement des ressources disponibles et des besoins à satisfaire. Ces trois organisations de l’économie sont:
(1) la loi du plus fort (c’est moi qui suis du bon côté de l’épée, ou de la kalashnikov, par conséquent ce qui est à moi est à moi et ce qui est à toi est négociable), plus ou moins modulée par la tradition. Exemples: le régime féodal d’autrefois, les « zones de non-droit » modernes. Ce type d’organisation peut d’ailleurs contaminer les autres types, à travers la domination économique, la corruption, le gangstérisme mafieux…
2.
(2) le collectivisme, autour du plan soit (a) autoritaire, soit (b) libertaire. Les travailleuses et travailleurs, librement et harmonieusement associés, produisent ce qu’ils ont décidé et se le distribuent, sous la conduite bienveillante et débonnaire de leur avant-garde éclairée dans le premier cas, mus par un élan spontané et fraternel dans le second.
(a) a donné (donne encore en Corée du Nord) les résultats que l’on sait.
(b) serait évidemment le paradis ou sa préfiguration; on ne sait toutefois pas comment s’y prendre pour mettre sur pied cette organisation économique et sociale, et surtout pas ses promoteurs, qu’on ne saurait pourtant soupçonner de garder la recette secrète. C’est comme fameux le plan B, cela existe sans doute dans un univers parallèle auquel nous n’avons pas tous accès.
NB. Ne pas confondre avec la planification indicative, qui a pu donner de bons résultats, mais relève du (3).
(3) l’économie de marché: les quatre fonctions de base de l’économie: production, répartition, investissement nécessaire au progrès, consommation, sont régies, en dernière analyse, par la rencontre de l’offre (rentable) et de la demande (solvable) des ressources disponibles, et par la confrontation des diverses valeurs d’usage et d’échange des biens. Chaque bien étant échangé sur un marché, il y a donc une foule de marchés, interdépendants. C’est cette foule de marchés interdépendants qu’on appelle, pour simplifier, « le marché ». Ce troisième type d’organisation économique semble bien, au contraire des deux autres, avoir fait la preuve, sous certaines conditions, de son efficacité pour produire vite et bien et accélérer le progrès technique (pour répartir équitablement et assurer le progrès social, c’est beaucoup moins sûr…).
Maintenant, il y a deux conceptions de l’économie de marché, très différentes.
Le développement de l’économie de marché a donné naissance au capitalisme, qui consiste en la domination d’une classe de gens (qui détiennent le contrôle des moyens de production, ou capital) sur toute la société, à commencer par ceux qui ne possèdent rien. C’est le b. a. ba de l’analyse marxiste, déjà formulé en 1847, et qui est juste d’un bout à l’autre (je parle du b. a. ba de l’analyse économique et sociale, non des propositions politiques).
Faisant tourner la machine à leur profit, les capitalistes (et les économistes et politiciens qui leur sont favorables) ne veulent pas entendre parler d’entraves et empêchements mis au fonctionnement le plus libre possible du marché, aussi bien ceux hérités du passé (d’où le nom de « libéraux » que l’histoire leur a donné), que des résistances venues de ceux qu’ils exploitent. Ils sont pour le marché sans freins ni amortisseurs: marché sauvage. Un tel marché sauvage a une fâcheuse tendance à se « changer en son contraire » comme disaient les marxistes. La libre concurrence devient monopole, le progrès stagnation… Les plus responsables voient le danger et se font partisans d’une certaine régulation, pour empêcher le système de s’autodétruire.
Le mouvement ouvrier, lui, tout en se raccrochant trop longtemps au mythe de la réorganisation sur le mode collectiviste (et même, pour ce faire, à la perspective de la « dictature du prolétariat »), a fini par conclure, de façon pragmatique, qu’il était de l’intérêt des travailleurs et de l’espèce humaine toute entière de conserver les mécanismes du marché, car il n’y a aucun meilleur système pour produire et innover, mais d’ajouter à ce moteur des freins et une direction: donner aux pouvoirs publics démocratiques les moyens de corriger les emballements et de préciser les buts poursuivis (sans fausser la machine) afin de faire profiter des « fruits de l’expansion » (comme on disait autrefois) la masse des travailleurs et non les seuls capitalistes.
Et le PS ? Si l’on identifie économie de marché et capitalisme, le PS n’apparaît pas comme anticapitaliste; si l’on distingue les deux notions alors il l’est, tout autant -sinon plus, en fait - que ceux qui entretiennent la confusion et s’interdisent ainsi de proposer une véritable alternative, en se réfugiant dans l’incantation réitérée. Cela dit, dans le PS, il y a des nuances. Passons sur les deux « bouts de l’omelette »: l’un s’apprête à partir: ceux qui n’acceptent pas l’économie de marché, l’autre est déjà parti en se ralliant à Sarkozy. Il reste des nuances entre une « droite » peut-être (je fais là un procès d’intention) tentée d’épouser d’un peu trop près le marché tel qu’il est, et une « gauche » (je fais un autre procès d’intention) quelque peu nostalgique des vieilles formules, et confondant par exemple service public et secteur public, et enfin un courant novateur (qui a mes préférences) cherchant à articuler la liberté, y compris celle d’entreprendre, et l’égalité, à l’aide des questionnements des républicains et socialistes français d’avant Marx sur la fraternité, autre nom de la solidarité active.
Trois petits points pour finir.
Plus personne ne s’oppose à la mondialisation, depuis que les anti-mondialistes sont devenus alter-mondialistes. Ce sont ses modalités, qui restent à discuter. Attaché par principe au libre-échange, je ne suis pas opposé, bien au contraire, à un protectionnisme à valeur de discrimination positive pour les PMA (sous réserve d’une gouvernance démocratique, sinon le remède est pire que le mal). L’OMC n’est pas une machine ultra-libérale, sinon elle ferait un projet de traité international qui tiendrait en une ligne, et basta ! (« Toutes les barrières douanières sont interdites; les Etats signataires sont chargés de l’exécution du présent traité. ») Si les négociations sont très longues et très difficiles, c’est bien la preuve qu’on essaie de trouver des solutions « gagnant-gagnant ».
La « religion du travail »: nous ne sortirons de la malédiction de l’activité contrainte par la nécessité, que par un développement énorme de la productivité - et cela va demander beaucoup de travail, j’en ai peur.
À bas le productivisme, OK. Vive la décroissance, pas d’accord. Quand on voit les trois quarts de l’humanité vivre dans le dénuement, on se dit au contraire que nous avons besoin d’une très forte croissance. Autrement conçue, certes. Pas la croissance factice de la « société de consommation », mais une forte croissance quand même. La régulation du marché par la démocratie devrait y aider. La réponse conjointe à l’urgence écologique et à l’urgence sociale réclame la production, l’accumulation et la distribution d’énormément de « valeur ajoutée », que l’on n’obtiendra que par l’innovation, technique et sociale.
NB. On aura remarqué l'absence de l'ordo-libéralisme dans le topo. Se reporter à des textes plus récents...