I
Au bon vieux temps, l'idée qu'on se faisait des choses ne faisait guère de place à la notion d'une amélioration du sort de l'humanité, ni technique ni sociale ni autre. Au contraire, on plaçait l'Âge d'Or loin dans le passé, et le sentiment général était que le monde dégénère.
II
Les Lumières avaient une idée naïve, généreuse et optimiste du Progrès de l'Humanité : connaissances, structures sociales, techniques, tout devait aller du même pas vers une vie meilleure, pourvu qu'on fasse tomber les obstacles liés à l'obéissance aveugle aux pouvoirs et traditions.
Dès 1789, le clivage droite/gauche se fait sur la question de savoir si, en France, la souveraineté appartient au Roi (position, traditionnelle, de la droite) ou bien à la Nation (ce que soutient de façon novatrice la gauche).
III
Vers le milieu du 19ème siècle, la foi en le Progrès devint euphorique : les sciences et techniques, dans leur progression impétueuse et irrésistible, devaient conduire l'Humanité au bonheur, sous la conduite de la bourgeoisie triomphante, du fait de l'accumulation du Capital, et le répandre dans le monde entier.
Dès lors la droite défend les possédants (qu’ils soient réactionnaires ou conservateurs) et l’Ordre établi qui les sert, et la gauche désigne les partisans du Mouvement vers le Progrès (qu’ils soient libéraux ou démocrates, voire socialistes – aux sens que ces mots peuvent avoir alors).
IV
Bientôt le « socialisme scientifique » fait du Prolétariat international l'agent et le sujet du Progrès de l'Humanité. Les marxisme-léninisme et ses variantes achèvent la démarche. C'est le glorieux Prolétariat en marche qui conduira la société au bonheur que lui promet le Progrès en tous domaines.
Aux 19ème et 20ème siècles, il s’opère donc un glissement, sous l’influence du messianisme propre au marxisme politique et à ses dérivés : on est censé être d’autant plus à gauche qu’on est chaud partisan de la dictature du prolétariat et de la planification autoritaire de l’économie.
V
L'effondrement de l'expérience des dictatures « communistes » et de leurs dérives remet en cause cette perspective du progrès. Le monde post-Urss met en doute l'existence d'une voie du progrès, toute avancée technique apparaissant promise au détournement « néolibéral ».
Après l’échec manifeste de la perspective du « socialisme » autoritaire, on observe une rémanence de cette conception, qui fait que les gens de gauche qui rejettent la perspective susdite sont incités à avoir mauvaise conscience, voire à se raccrocher à un succédané : le jacobinisme étatiste, qui « enfume » encore, comme on dit, bien des esprits.
VI
Il reste à reconstruire à partir d'une réflexion d'ensemble, d'une critique du dévoiement opéré par le marxisme messianique et du constat de son échec, et d'une critique aussi du productivisme financiarisé, et des traditionalismes (en particulier du nationalisme et du patriarcat).
Il serait temps d’admettre que le rejet, nécessaire, du marxisme messianique ne signifie en aucune façon un ralliement au néo-libéralisme, et que la marche de l’humanité suppose de se tenir à l’écart de ces deux courants historiquement dépassés.
VII
Les tenants de ces deux archaïsmes sont, les uns et les autres, de droite ; à l'opposé sont de gauche les tenants de l’innovation politique et sociale rendue nécessaire par le développement des forces productives dans un environnement à préserver.