Par Melchior, qu’on ne présente plus, et qui d’ailleurs s'absente.
(Résumé des chapitres précédents: fonctions, agents, circuit, monnaie et crédit, croissance, marchés, et tout ça… hop ! Puis on aborde la politique économique, un gros morceau.)
- Reprends cela, Melchior, on n’a pas bien suivi.
- Il y a plusieurs degrés (repris-je de bonne grâce, à la suite de cet alexandrin) d’intervention concevables: les partisans les plus stricts du libéralisme sont pour une intervention minimale, à l’opposé des doctrinaires de l’étatisme qui se proposent de ne plus laisser aucune latitude à l’initiative privée. Entre les deux, un optimum, ou un moindre mal, est à dégager.
- Et où est-il, selon toi ?
- Mes préférences vont à une régulation des marchés par la société civile, une régulation qui respecte la liberté des intervenants, mais qui fixe à cette liberté un cadre, politique, social et culturel, bien précis, assorti d’un contrôle démocratique des pouvoirs publics, sur le mode fédéral…
- Nous sommes bien d’accord, démocratique et non bureaucratique ?
- Démocratique et non bureaucratique, nous sommes bien d’accord, c’est pourquoi je précise: sur le mode fédéral. Mais nous sortons ici du cadre de l’économie politique à proprement parler. Et c’est plus facile à énoncer abstraitement qu’à réaliser concrètement.
- Un exemple ?
- Par exemple on peut concevoir que le service de l’eau, ou celui du pain, relève de la seule initiative privée totalement libre, ou bien d’un organisme relevant de l’Etat central; on peut aussi imaginer une foule de solutions intermédiaires, les meilleures (à mon avis) consistant à laisser à la société civile et aux concertations diverses le contrôle a priori et a posteriori des initiatives économiques concernant ces activités.
- Et la lutte des classes, qu’est-ce qu’elle devient ?
- La lutte des classes ? Elle ne disparaît certainement pas. Il reste une contradiction fondamentale entre les possesseurs du Capital, qui en veulent toujours plus, et ceux de la force de travail, qu veulent toujours plus de contrôle sur la richesse produite et sur leur propre existence. Et cette contradiction n’a pas fini de s’exprimer, évidemment.
En attendant de pouvoir éliminer progressivement la classe possédante (en tant que possédante) sans pour autant risquer de laisser se constituer une caste dirigeante qui ne pourrait s’empêcher de confisquer le pouvoir, il paraît sage de s’en remettre au « compromis historique » indiqué par la gauche italienne au siècle dernier: maximiser le profit (non une maximisation absolue, mais compatible avec la prospérité générale) et maximiser la redistribution (non un maximum absolu, mais compatible avec la bonne marche du système).
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L’économie comme discipline scientifique se rattache sans aucun doute aux sciences sociales, bien que certains aient conçu le curieux dessein d’en faire une simple branche des mathématiques, ce qui, à l’usage, n’apparaît pas du tout convaincant. Les mathématiques fournissent aux économistes de très précieux outils, voire un langage; rien de moins, rien de plus. La science économique est à la fois autonome et interdépendante de l’ensemble des études des faits sociaux, de même que les faits économiques sont eux-mêmes des faits sociaux, comme les autres, avec quelque chose de particulier: le rapport à la lutte contre la rareté.
On est en train de redécouvrir les liens avec la sociologie, la psychologie, l’anthropologie. C’est un début. Le piège serait d’y dissoudre l’économie comme sucre en café au lait. Elle a sa spécificité, et le reste de la vie sociale est son « Umwelt », son environnement. Que l’homo œconomicus, purement rationnel et maximisateur soit une abstraction, n’empêche pas la validité du calcul économique: de la comparaison des coûts et des gains, de la recherche de l’optimum dans l’allocation des ressources. Beaucoup de gens veulent l’ignorer, mais l’ignorance n’est pas un argument. On cite parfois Beaumarchais, à contre-sens:
« Il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l’obtint. »
C’est méconnaître que rien n’est plus minutieusement calculé qu’un pas de danse. De même l’art du financier fait appel à la persuasion, à la confiance, à la crédibilité (un peu à la crédulité, aussi… ou tout au moins, à l’artifice).
En définitive, les gens ont des besoins, illimités; pour les satisfaire, ils doivent déployer leurs capacités à se procurer, réunir, mettre en œuvre des ressources. Cela se fait de façon coordonnée et selon des cycles. Il faut une intervention publique pour coordonner et corriger les activités. On ne sort pas de là. Il paraît donc légitime d’observer ces activités, d’établir leurs régularités positives (« sous telles et telles conditions cela se passe comme ceci et comme cela, suivant telles causes et avec telles conséquences »), qu’on pourra toujours nommer « lois » (au sens scientifique, non juridique), sous réserve du ceteris paribus (« toutes choses égales par ailleurs »), et d’essayer de dégager des recommandations à l’usage des pouvoirs publics, des gestionnaires et des citoyens. Ne vous semble-t-il pas ? À moi, oui.
N’entendant pas de réponse, je répétai:
- Ne vous semble-t-il pas, dites ?
Mais, levant la tête de dessus mes papiers pour jeter un coup d’œil sur l’assistance, je m’aperçus que celle-ci dormait, les têtes sous les ailes. Je sortis sans bruit pour ne pas réveiller mes oies, debout chacune sur une patte.
Fin de l’épisode.
(- Ah ben, c’est pas trop tôt, hein ! - L’école est finie !)
Billet de blog 27 juin 2012
Éléments d’économie (10 - et fin).
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