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Billet de blog 27 octobre 2019

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À Besançon, l'État se défausse à nouveau et classe une affaire sans suite

En mars dernier à Besançon, un policier assenait illégalement un dangereux coup de matraque sur la tête d'un gilet jaune. Le témoignage suivant retrace les événements, le chemin parcouru depuis cet épisode marquant pour le mouvement de la ville et le récent classement sans suite de l'affaire par le procureur.

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Illustration 1
Illustration de ce matraquage © CC Mélio Lannuzel

25 octobre 2019, je ne me souviens plus de la date exacte. Le souvenir est assez vif mais il se mélange avec les nombreux samedis passés dans les rues de Besançon à manifester. Après une courte recherche sur internet je retrouve la date, c'était le 30 mars 2019 durant l'acte XX. Les éléments me reviennent par morceaux. Il faisait beau, c'était un de ces premiers jours où le froid de l’hiver commence à se dissiper et où le soleil se dévisage de nouveau. Nous avions déambulé sans incidents majeurs jusqu'à la préfecture. Elle était chaque samedi depuis le début du mouvement des gilets jaunes, protégée par un important dispositif policier. À l'approche du bâtiment, un groupe issu de la manifestation des gilets jaunes avait très rapidement déployé une banderole noir où il y était écrit « Pouvoir au peuple/ Macron démission ». Ils s'étaient rapprochés des CRS pour lancer pendant une ou deux minutes divers projectiles (1).

Illustration 2
Parcours des événements © Mélio Lannuzel

La réponse des policiers fut sans mesure. Pour commencer, ils lancèrent une flopée de bombes lacrymogènes pour disperser la foule. Après cette première offensive, les forces de l'ordre nous poussèrent vers le lieu où habituellement nous avions la possibilité de fuir mais de grands renforts policiers avaient bloqué l’accès (2).  Nous avions rebroussé chemin pour essayer d'échapper de nouveau à cette offensive policière et nous étions contraints de nous diriger de l'autre côté du pont Canot. Nous étions un petit attroupement, 20 fois moins nombreux qu'au début de la manifestation, choqués sûrement de cette punition expéditive qu'on voulait nous donner. Les manifestants les plus énervés ne lançaient plus rien. De toute façon nous étions trop peu pour qu'un d'entre eux osât le faire. Brusquement, une charge de policiers pour attraper un lanceur de pierres, sans discernement, eut lieu. C'est à ce moment que le coup de matraque sur la tête d'un des gilets jaunes fut assené, lui ouvrant l'arcade (3). Par la suite on apprendra que le jeune homme dut recevoir plusieurs points de suture pour se soigner.

Radio-bip, média local et indépendant film l'action. La vidéo est mise ligne et très vite elle est partagée et visionnée par de nombreux internautes. Comme souvent avec les affaires concernant des gilets jaunes, la course à la parole s'ensuit. Le préfet très vite après la mise en ligne de la vidéo, explique que l'homme faisait obstacle à l’intervention des policiers. Il s'emballe et accuse l'homme d'avoir « essayé de ramasser une bombe lacrymogène à ses pieds. ». Mais ce jour-là ce n'est pas contre cet homme qu'il est particulièrement remonté c'est contre les manifestants sans aucune distinction. Pour lui la seule chose qui est « disproportionnée c'est de ne pas [avoir] obtempéré à l'autorité du préfet ». La préfecture dans son empressement autoritaire voulait effectivement empêcher la manifestation depuis 16 h, soit deux heures avant le coup de matraque – mais ce n'est pas le sujet même de ce témoignage, je m'interroge plutôt sur la légitimité et les raisons du coup de matraque. Finalement le travail vidéo de la journaliste Emma Audrey montre la scène en détail et face aux éléments probants, l'IGPN est saisie. Dans un communiqué de presse le préfet, contraint par le succès de la vidéo, est clair : il souhaite une enquête clémente et porte son soutien inconditionnel aux policiers.

Illustration 3
Communiqué de presse du préfet © Joël Mathurin

Évidemment une enquête IGPN prend du temps, énormément de temps et alors que l'opinion publique oublie peu à peu cet événement et que mes souvenirs s’éloignent de plus en plus, le 23 octobre 2019, presque 8 mois après les événements le procureur décide de classer l'affaire sans suite. Les conclusions « Monsieur n’avait pas l’intention de ramasser l’objet. Mais, de l’autre côté, il n’y a pas d’intention coupable de la part du policier. » C'est encore une enquête qui n'a mené à rien si ce n'est de dire : il n'y a rien à dire, rien à signaler, circulez ! C'est bien le problème des enquêtes de l'IGPN, elles ne cherchent qu'à savoir si un policier a fait une « bavure » et non de montrer la violence de la police. Elle n'est qu'un organe supplémentaire1 pour fluidifier tout ce mécanisme de répression et cette affaire montre une énième fois que cette mobilisation, parmi d'autres, se fait mater par le moyen le plus violent : la violence étatique. Cette violence, c'est celle de justifier ou de punir les fautes individuelles en insinuant que c'est l'essence d'une société de justice. Pour le moment, il faut l'admettre, cette stratégie marche, depuis cet événement le nombre de manifestants a diminué selon les chiffres du Nombre jaune. Ce n'est bien sur pas l'unique raison de cette diminution mais nous pouvons supposer qu'elle y a participé.

Illustration 4
Évolution du nombre de manifestants à Besançon/ source Nombre jaune © CC Mélio Lannuzel

Je repense aujourd'hui à ces petits cailloux ricochant le 30 mars sur les boucliers des policiers et aux chemins qui les séparent de toutes les actions qui n'ont pas été faites, de toutes les enquêtes IGPN qui n'ont donné lieu qu'à des mots, aux blessés qui se remettent difficilement de leurs blessures et je vois un monde qui gronde par mille langues. Aujourd'hui trop d'exemples le montrent, ce n'est pas la justice ou la police qui réaliseront nos rêves et nos aspirations à l'égalité, mais c'est nous dans la rue, unis pour défendre notre droit de vivre et évidemment notre droit à la paresse.

1 "À ces déchaînements de fureur barbare, destructive de toute jouissance et de toute paresse bourgeoises, les capitalistes ne pouvaient répondre que par la répression féroce, mais ils savaient que, s’ils ont pu comprimer ces explosions révolutionnaires, ils n'ont pas noyé dans le sang de leurs massacres gigantesques l'absurde idée du prolétariat de vouloir infliger le travail aux classes oisives et repues, et c'est pour détourner ce malheur qu'ils s'entourent de prétoriens, de policiers, de magistrats, de geôliers entretenus dans une improductivité laborieuse." PAUL LAFARGUE, Le droit à la paresse, https://www.marxists.org/francais/lafargue/works/1880/00/droit.pdf, p.15

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