Le wokisme: « Une américanisation de la recherche » et vers une dictature de la pensée ?
Le terme « wokisme » vient de l’anglais « woke » qui signifie éveillé. De ce fait, dans le monde du militantisme cela fait référence aux personnes « éveillées » face aux inégalités sociales. Ce terme fourre-tout se substitue ou complète celui d’islamo-gauchiste tant prisé par la classe politique. Dans le débat français ces termes ont une connotation négative, tantôt mobilisés pour les définir comme des adaptes de la victimisation tantôt comme des dangers pour le République.
«À cause de la "woke culture" on ne peut plus rien dire», voici le discours tenu par les détracteurs des recherches portant sur le genre ou encore la race mais également les militant.e.s.
Mais qu’est ce qui dérange dans cette pensée ? Est ce vraiment un danger pour la recherche ?
Les recherches sur le genre, la race, la trans-identité ou encore les orientations sexuelles sont de plus en plus nombreuses et surtout visibles dans les médias mais également dans le monde de la recherche. Mais les courants de pensées sont souvent remis en cause car ils ne seraient pas assez fiables méthodologiquement parlant car ils laisseraient une place trop grande à la subjectivité des individus.
Ce qui est aussi pointé du doigt est le fait que les concepts sont majoritairement issus des pays anglophones ou de ce qui est appelé les « théorie du sud » comme l’Inde ou encore l’Amérique du Sud. Mais les contextes historiques et politiques ne sont pas les mêmes. Nous sommes bien conscient.e.s, le but n'est pas d'appliquer les concepts bruts mais tout simplement faire parler les savoirs entre eux afin d'avoir une clef de lecture assez large des faits sociaux.
Nous avons donc des réactionnaires à toutes ces « nouveautés », nous avons l’impression qu’ils souhaitent garder un entre de soi et une recherche qui se répète. Nous mobilisons ces concepts et théories car il y avait une sorte de vide théorique, ce vide nous dit quelque chose aussi.
Les concepts sont majoritairement issus de la recherche anglophone que l’on traduit en français avec des champs spécifiques qui bien souvent se croisent/ « gender studies », « race studies » , « LGBT, queer studies », par abus de langage certains parlent d’une américanisation de la recherche. Mais désormais ces termes ont bien leur terme français: étude du genre, de la race... Tout cela nous permet d'avoir une vision intersectionnelle aboutissant à une convergence des luttes et des savoirs.
L’importance des représentations et de la compréhension des inégalités.
Le monde de la recherche renouvelle sa population de chercheurs et chercheuses, nous retrouvons des personnes en quête de nouvelles thématiques de recherche en phase avec les nouveaux questionnements et problématiques de société. S’il est mis en avant une quête identitaire ou encore une volonté militante ces travaux subissent souvent une délégitimation. Mais ces recherches ne cessent de continuer car il est important de connaitre les processus de dominations et discriminations pour pouvoir s’en défaire. Les individus restent des êtres pluriels et complexes, nous ne pouvons plus nous contenter des classes sociales pour les définir, de plus avec l’expansion de la classe moyenne cela complexifie le débat. Une approche intersectionnelle est inévitable, mais il faut tout de même rester réalistes, on ne peut pas capter toute la complexité des individus mais l'idée est de se rapprocher d'une certaine complétude des savoirs.
Écrire les discriminations avec nous, pour nous et par nous. Voici la phrase qui revient lorsque l’on parle d’épistémologies du sud, il y a une volonté des « dominés » ou encore « subalternes» de se réapproprier le savoir, nous ne sommes plus des objets d’études passifs, nous sommes constructeurs ou/et co-constructeurs des savoirs. Le savoir n’est plus le monopole des classes privilégiés bien souvent occidentales.
Et la neutralité axiologique ? Le savoir est-il subjectif, émotionnel ?
Il est souvent reproché le manque de subjectivité ou encore le risque de tomber dans l’émotionnel. Pour parler de mon expérience de recherche, j’ai pu travailler sur les femmes musulmanes et féministes en France ou encore sur les représentations des nord-africains dans le cinema français. Les caractéristiques que je partage avec mes "objets" d’études ont été mis rapidement sur la table. Dire que cela est simple ou que cela ne demande pas un effort supplémentaire serait faux, avoir conscience de ses biais est une partie très importante de la recherche et poursuivre sa recherche en analysant et en mettant de côté sa subjectivité est un combat, ce n'est pas pour rien que Pierre BOURDIEU nous disait que la sociologie est un sport de combat.
Cette introspection est de plus en plus courante notamment à travers la question « d’où je parle ? » (socialement parlant). Cette interrogation nous pousse à nous questionner et ainsi nous rapprocher de cette fameuse neutralité axiologie chère à Weber (Le Savant et le Politique).
Lorsque la recherche se mêle à la lutte sociale en abordant des thématiques dites "sensibles", les intentions de la recherche sont remises en cause. Y-a t-il une instrumentalisation du savoir à des fins politiques ? L'éthique fait que les chercheurs et chercheuses ne peuvent pas se permettre un manquement à la rigueur scientifique car le savoir ne se suffit pas à lui même, il doit être diffusé et mobilisé. Comme le disait Émile DURKHEIM « la sociologie ne vaut pas une heure de peine si elle ne devait avoir qu'un intérêt spéculatif ». Ainsi le savoir doit pouvoir être mobilisé dans les luttes afin de comprendre les processus de dominations de la société. Cela ne signifie pas que le/la scientifique doit se substituer au politique mais tout simplement que le savoir doit être accessible pour toutes/tous et mobilisable par outes/tous.
La peur du changement ? Mettre les « Boomers » face à des vérités déplaisantes.
Vous connaissez sûrement le terme « Boomers », la génération née durant le baby-boom, sous les traits le l’humour, le boomer à 50 ans et un peu réac sur les bords, il se plaint de cette jeunesse insatisfaite qui n’a plus le goût du travail et qui se lance dans des « fausses luttes », une jeunesse qui critique tout et qui joue la police du politiquement correcte. Est-ce qu’une personne vous est venue à l’esprit en lisant cette description ? C’est normal c’est un peu un terme fourre tout qui peut coller à divers profil et non une vraie catégorie scientifique. C'est un peu une caricature mais sous les traits de l'humour il y a toujours une petite vérité.
La lutte pour les droits était mieux avant, on ne peut plus rien dire, il y a des choses plus importantes… La vérité est que pendant longtemps l’ordre établi, outre la dimension de classe sociale, n’était pas bousculé. Aujourd’hui toutes les dominations sont remises en question et surtout refusés. Un insulte homophobe, raciste ou sexiste ne passe plus. Les gens ne supportent pas que l’on dise que leurs propos sont problématiques car le raciste, l’homophobe ou encore le sexiste est matérialisé dans l’imaginaire dans sa forme la plus extrême et la plus violente. Le raciste n'est pas que le grand méchant sous des caractéristiques grossières.
D'ailleurs, Achille Mbembé a pu théoriser le "nano-racisme", non loin des micro-agressions en psychologie, cette théorie nomme des événements quotidiens qui peuvent paraitre anodins ou encore "sans importance" mais qui mettent mal à l’aise ou en colère sans forcement pouvoir mettre des mots dessus.
« Mais que faut-il comprendre par nanoracisme sinon cette forme narcotique du préjugé de couleur qui s’exprime dans les gestes apparemment anodins de tous les jours, au détour d’un rien, d’un propos en apparence inconscient, d’une plaisanterie, d’une allusion ou d’une insinuation, d’un lapsus, d’une blague, d’un sous-entendu et, il faut bien le dire, d’une méchanceté voulue, d’une intention malveillante, d’un piétinement ou d’un tacle délibérés, d’un obscur désir de stigmatiser, et surtout de faire violence, de blesser et d’humilier, de souiller celui que l’on ne considère pas comme étant des nôtres ? » Mbembé, 2016
Que peut-on en conclure ?
Le savoir se transforme, se recompose en prenant en compte ce qui avait pu être mis de côté soit par méconnaissance soit par délégitimation. Aujourd'hui nous souhaitons aborder des thématiques de recherches délaissées dont le vide scientifique se fait ressentir d'une part chez les militants et militantes et d'autres part chez les jeunes chercheurs et chercheuses dont les profils sont de plus en plus variés, de ce fait les questionnements ne sont plus forcément les mêmes.
Le savoir est une mosaïque qui se construit chaque jour et qui peut trouver des complémentarité dans d'autres pays, d'autres disciplines...La dévalorisation des savoirs comme les cultural studies contribue à affaiblir les sciences sociales, bien entendu toutes les connaissances ne se valent pas, cela on ne peut pas le nier, mais toute nouvelle connaissance nait d’un manque, ou d’un vide et c’est sur ce point de vue que l’on doit interroger ces connaissances qui peuvent apporter une certaine complémentarité. Ce refus reste très franco-français cela est notamment dû au condition d’émergence de la sociologie en France. la France a eu une construction assez rigide, très positiviste quand l’Angleterre était plus souple et où la littérature eu beaucoup plus de place que la sociologie. C’est d’ailleurs dans le monde anglo-saxons que les studies peuvent trouver une place et se diffusent.
La sociologie doit offrir aux « dominé.e.s » un clef de lecture afin de comprendre ces processus de dominations et comment en sortir ou du moins améliorer leur condition. Servir une domination en étant « conseiller du prince » serait comme une compromission à l’éthique sociologique. La sociologie est implicitement marquée par une forte éthique, chose qui semble être acquise mais qui ont pu être remis sur le devant de la scène avec les studies.
Je vous remercie pour votre temps de lecture, en espérant que cette petite analyse vous parle.