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Billet de blog 18 mai 2023

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Le choix des mots: être ou ne pas être racisé(e)

Si vous êtes sur les réseaux sociaux ou que vous suivez régulièrement les chaines d’information en continu, vous avez sûrement déjà entendu ce terme. Il est majoritairement mobilisé par les mouvements anti-raciste. Mais ce terme divise encore et je vais vous expliquer pourquoi.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le terme est démocratisé par Colette GUILLAUMIN dans son ouvrage "L'idéologie raciste: Genèse et language actuel" publié en 1972, cet ouvrage est issu de son travail de thèse "Un aspect de l'altérité sociale : le racisme : genèse de l'idéologie raciste et langage actuel". De ce fait, son travail a été réalisé dans les années 60. 

En France le terme « race » reste assez tabou. En effet il garde sa forte connotation eugéniste de classification instaurant une hiérarchie des races et justifiant les épisodes les plus sombres de l’histoire de l’humanité. Bien entendu, le monde scientifique s’entend à dire que la race biologique n’existe pas et cela n'est pas remis en question. Aujourd’hui le terme « race » est mobilisé dans le monde du militantisme antiraciste, il renvoie à un processus de racialisation des rapports sociaux, comme le définit Michel Wierviorka, cela se caractérise par un « processus par lequel une société se représente, de façon plus ou moins décisive comme constituée de groupes raciaux, de races en concurrence et en opposition » dans ce processus il y a un dominant et dominé, le « racisant » et le « racisé » si nous reprenons les termes de Colette Guillaumin. La mobilisation de ce terme semble nécessaire car il permet de nommer les choses.

La race « existe bien en tant que discours, signe, ayant des effets matériels réels (comme les injures, les discriminations, les viols, les lynchages) mais elle n’existe pas en tant que référent réel [au sens linguistique du terme c’est-à-dire une réalité physique à laquelle le signe renvoie] » comme on pu le souligner BENTOUHAMI Hourya, v-SOUILAMAS Nacira, de ce fait nous retrouvons l'idée la race est une construction social, construire socialement par des discours ayant des répercussions réelles, cette construction est forgée par des processus historiques, politiques et économiques qui attribuent des caractéristiques spécifiques à certains groupes de personnes.

Qu'est ce que le terme "racisé" englobe ? 

Le terme "racisé" est utilisé pour mettre en évidence le fait que la race n'est pas seulement un attribut des individus, mais plutôt un mécanisme de pouvoir qui structure les relations sociales. Être "racisé" signifie être perçu et traité différemment en fonction de sa race, avec des conséquences sociales, économiques et politiques.

Pour Colette GUILLAUMIN, le terme "racisé" renvoie à la fois aux processus de catégorisation raciale et à l'expérience vécue des personnes concernées. La race est un concept relationnel, où la hiérarchie et la domination raciales jouent un rôle central. Elle insiste également sur le fait que les notions de race et de racisme sont indissociables du système de genre et de classe sociale, soulignant ainsi les intersections entre ces différentes formes d'oppression.

Ce processus de racialisation (catégorisation raciale) est une assignation extérieure, une étiquette posée par la normativité (la blanchité). La blanchité est une idéologie politique de privation de pouvoir et de préservation du pouvoir, cela ne se limite pas à la couleur de peau.

Être blanc.he c'est tout simplement être perçu comme la norme et surtout ne pas être perçu comme "racisé". Étant une construction sociale le processus de racialisation évolue par exemple en France les populations issues de l'immigration européenne ont subit un processus de "blanchissement", c'est à dire qu'ils n'ont plus le fort stigmate que peuvent encore avoir certaines populations issues des migrations coloniales et post-coloniales.

De même pour les personnes ayant un "white passing" c'est à dire qu'elles sont perçues comme blanches et de ce fait ne subissent pas/plus le racisme. Le "white passing" peut se traduire par une apparence caucasienne et il est renforcé si cette apparence s'accompagne d'un nom neutre ou semblable à un nom occidental. 
De ce fait, nous pouvons comprendre que le concept de race et de "racisé.e" n'est pas si simple et évident. En effet, nous pouvons nous demander qui est blanc et qui est perçu comme blanc. Une personne perçue comme blanche peut sortir de ce rapport de pouvoir asymétrique qu'instaure le processus de racialisation débouchant sur le racisme et ses conséquences. 

Les racisé(e)s: Une masse homogène ? Vers une critique de ce terme

Ce terme interroge, en effet encore récemment lors d'un échange sur la chaine YouTube du média BISSAI, ce questionnement quant à ce terme met en exergue ce que pose problème. 

Le terme "racisé" peut être appliqué à des groupes très différents sur le plan culturel, ethnique et social. En les regroupant sous une même catégorie nous pouvons occulter les spécificités et les particularités propres à chaque groupe, négligeant ainsi les dynamiques intersectionnelles et les contextes sociaux spécifiques. Ainsi, le terme peut homogénéiser les expériences des individus en mettant l'accent uniquement sur leur statut de victimes du racisme. Cela peut occulter les différentes formes de résistance, d'agency (la faculté d'action d'un être, sa capacité à agir sur le monde, les choses, les êtres, à les transformer ou les influencer) et de lutte des individus racisés face aux discriminations, ainsi que les différentes stratégies qu'ils peuvent adopter pour faire face au racisme. 

Cette homogénéisation peut provoquer une essentialisation nous mettant ainsi dans une case avec comme seule caractéristique l'altérité.  

Le problème qui est également soulevé est le manque de compréhension de ce terme encore trop marqué par une dimension biologique. Nous devons sans cesse rappeler que le concept est social, c'est à dire que l'altérité de l'autre est construite socialement afin de maintenir l'asymétrie des pouvoirs et garder l'autre dans une position de subalterne. En voulant supprimer le mot "race" (au sens social du terme) nous omettons cette réalité sociale. 

Alors quelle alternative à ce terme ? 

Personnes non-blanches ? Si nous nous référons à l'échange précédemment cité ( sur BISSAI), cette appellation  fait référence à la normativité c'est à dire la blanchité (en tant qu’idéologie politique privation de pouvoir et préservation du pouvoir). De plus la négation appuie le fait de ne pas avoir les avantages de cette blanchité, donc cela pourrait être interessant.  

Mais ce terme possède ses limites et peut aussi être remis en cause. En effet, il peut avoir  une connotation négative, cela peut renforcer les structures de pouvoir existantes favorisant les personnes blanches, en les positionnant comme la norme et les autres groupes comme des "exceptions" ou des "déviants".  Ce terme peut aussi maintenir et renforcer les hiérarchies raciales existantes en centrant l'attention sur la race blanche en tant que point de référence, cela peut donc perpétuer les inégalités et les discriminations en donnant l'impression que les personnes non blanches sont définies principalement par leur absence de "blanchité". De ce fait, les personnes non blanches  sont définis  en fonction de ce qu'elles ne sont pas plutôt que de ce qu'elles sont. 

Sinon nous pouvons tout simplement qualifier les personnes par leurs caractéristiques ethniques: personnes noires, personnes nord-africaines, personnes asiatiques, indiennes... ou leurs origines directement. 

Cette remise en question met en évidence le fait que si une personne non-blanche (en référence à la norme dominante) subit l'expérience du racisme, des discriminations ainsi que toutes les violences qui les accompagnent cela peut varier d'une communauté à autre. En effet, nous pouvons constater que les personnes noires et les personnes asiatiques ne subissent le même type de racisme, tout comme il peut avoir du racisme au sein même des communautés, dans la video il est notamment fait référence à la négrophobie en Afrique du Nord. 

Devons nous segmenter la lutte et nommer différemment ? La question est de plus en plus récurrente car il est difficile de mettre en place une convergence des luttes ;  racisme, transphobie, homophobie, validisme, misogynie etc tout cela met à mal cette convergence et beaucoup perdent espoir en cette idée. De plus, subir ces micro-agressions en plus du fardeau de la lutte anti-raciste et autres est de plus en plus difficile à tenir. 

Il n'est pas simple de trancher sur la question mais du point de vue scientifique ce terme de "racisé.e" est convenable car dans ce type de recherche nous avons conscience de la pluralité des expériences mais également de l'individualité des personnes. Le savoir doit donc se co-construire avec nos sujets d'étude. Le plus simple serait de s'entendre sur une nomination afin de se détacher d'une nomination extérieure faite à notre insu. Il est donc possible de s'approprier le terme de "racisé.e" comme les personnes "Queer" et approfondir les recherches sur nos conditions et le racisme que nous subissons. 

Ceci est une partie d'une réflexion qui nécessite encore des heures de travail et d'approfondissement. Les mots ont un sens, en discuter nous permet de comprendre les mécanismes de la société et de mieux avancer vers un savoir commun et une société bienveillante. 

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