Depuis tout petit , chacun apprend à parler. De l'école à la maison , une continuité s'est installée entre le travail du parent et celui de l'enseignant pour que l'enfant sache enfin placer des mots dans le bon ordre au sein d'une phrase. Or , il y a une discipline que personne n'apprend tant elle s'oublie car peu bruyante , celle de se taire.
Pourquoi doit-on se taire ?
A l'heure où nos sociétés démocratiques poussent le débat à son sommet , le silence recule. Chacun pense être doté de LA vérité absolue , de LA bonne information , du scoop extraordinaire et du grand savoir des intellectuels. Et donc , chacun parle et certains parlent toujours plus forts que les autres.
Pour le constater , il suffit de regarder un simple débat télévisé. Ces derniers sont toujours encadrés et arbitrés par les présentateurs qui veillent à faire respecter le temps de parole de chacun. Et si cet arbitrage est nécessaire , c'est parce que chaque candidat souhaite parler plus qu'il n'en faut , sans laisser celui d'en face placer un seul petit mot.
Il y a , en réalité , un acharnement oratoire , un forcing du verbe , une insistance presque ridicule et une course à celui qui en dira le plus.

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Le silence et la retenue sont donc des vertus si peu pratiquées et souvent perçues d'ailleurs sous l'angle d'une posture de passivité. A tort.
En réalité , se taire n'est pas un aveu de faiblesse , ni un aveu tout court. En particulier , lorsque l'on voit les dégâts des mots mal prononcés dans la vie quotidienne. Un mot de trop , un mot de moins , un mot mal placé ou exprimer au mauvais moment et voilà l'interlocuteur dans tous ses états. Le mot mal dit , le mot inadéquat , le mot maladroit ou celui qui est médisant et voilà que la porte du conflit s'ouvre en grand.
Parmi les divorces , les disputes , les querelles familiales , les coups de froids amicaux , les échecs amoureux et les faillites professionnels combien démarrent de la parole ?
Se taire permet , en fait , de prendre le temps d'entendre l'autre sans être pressé de lui répondre. Entendre l'autre , c'est assimiler sa parole , en percevoir le sens , la profondeur et la signification. Et donc , se taire c'est peser le poids du mot qui sera prononcé en guise de réponse afin de bien le choisir.
Cet organe , nommée langue , naturellement et étonnement cloisonné dans une bouche cadrée d'une mâchoire à l'image d'un lion dangereux est enfermé dans une cage , tourne parfois au vinaigre .
L'excès de parole , inévitable ?
Il y a de dangereux dans la parole , son excès. Vouloir prononcer un mot et finir par en dire dix à la volée , est une dérive de la parole car excessivement prononcée. Et en effet , les 9 mots supplémentaires qui auront été prononcés n'avaient pas été réfléchis donc dangereux pour celui qui reçoit comme pour celui qui dit.
Tentez aussi une petite expérience. Sortez dans la rue , prenez un petit micro et faites un micro trottoir auprès des passants. Demandez-donc à chacun ce qu'il pense sur un sujet quelconque et observez à quel point les gens ne mettent jamais de point dans leur phrases. Combien feront des phrases à rallonge pour combler "les blancs" parce que trop lourds et insupportables ?
Donc , ce qui explique l'excès de paroles est en fait "la peur du blanc" (sans racisme aucun). Ce lourd silence qui s'installe et que chacun veut briser car trop pesant.
Et finalement , parler trop n'est-ce pas parler vainement ? Que vous discutiez de la vie du voisin , des vacances de votre frère , du caractère affreux de votre belle-mère combien de ce que vous dites est vraiment utile à la conversation ?
Il y a dans l'excès de verbe , des parasites. Une pollution verbale qui gâche le cœur battant du propos que l'on tente d'exprimer et du message que l'on essaie de faire transmettre.