Cette rentrée des vacances de la Toussaint est marquée par l’application ou la non-application du protocole sanitaire de l’Education Nationale, daté du 2 novembre 2020, jour-même de la rentrée. Différents phénomènes selon les contextes locaux : des établissements où tout se déroule comme avant les vacances, d’autres où l’on estime que le protocole officiel n’est pas suffisant. Des chefs décident de mettre en place un fonctionnement par demi-groupes et sont rappelés à l’ordre par le Rectorat : les élèves doivent être reçus en classe entière. Des professeurs qui exercent un droit de retrait et rédigent eux-mêmes des protocoles, un mouvement de « grève sanitaire » ... alors, applicable ou inapplicable, le protocole ?
Des recommandations inapplicables …
Le texte prévoit de nombreux points difficiles à mettre en application, notamment la distanciation d’au moins un mètre et la limitation du brassage des élèves.
Les seules mesures rendues obligatoires sont le lavage des mains régulier, et le port du masque fourni par les parents. Or, c’est précisément ce qu’il est le plus difficile à faire respecter à des enfants et des adolescents en effectifs complets. Réduire les effectifs, assurer une meilleure distance entre eux, là sont les vraies mesures de sécurité, ont estimé de nombreux professionnels en grève ce mardi.
Autres points de difficulté : le manque de personnel. Pour appliquer des recommandations comme la ventilation toutes les deux heures, ou la désinfection des poignées de portes plusieurs fois par jour, ce qu’il manque, ce sont des personnels, estiment encore les enseignants qui prennent la parole rue du bac. Des AED (surveillants), des agents d’entretien. Trop nombreux sont les bâtiments en attente de rénovation : fenêtres cassées, ou condamnées parce que le caprice architectural de larges fenêtres ne tenait pas compte de collégiens qui s’y pencheraient.
… Mais à mettre en œuvre « si possible »
Cependant, le texte anticipe toutes ces difficultés en disposant que ces recommandations sont à mettre en œuvre « si possible », notamment pour la distanciation d’au moins un mètre et la limitation du brassage.
« Si la configuration des salles de classe (surface, mobilier, etc.) ne permet absolument pas de respecter la distanciation physique d’au moins un mètre, alors l’espace est organisé de manière à maintenir la plus grande distance possible entre les élèves. »
« La plus grande distance possible » : derrière cette formule rassurante, la réalité se compte en quelques centimètres. Des professeurs postent sur les réseaux des photos de l’espace entre les tables, où dans de nombreux cas "la plus grande distance possible" est de 10 cm en salle de classe.
Le protocole préconise donc de ne pas appliquer cette mesure de précaution de 1 mètre. Le protocole est applicable dans tous les établissements, puisqu'il prévoit de n'obliger aucune précaution, mis à part le gel hydroalcoolique et le port du masque.
En d’autres termes, le texte administratif laisse parfaitement la possibilité de ne rien changer à l’organisation des établissements. C’est pourquoi de nombreux collèges et lycées ont repris à la rentrée sans aucune mesure supplémentaire, en prévoyant parfois dans la semaine des réunions afin de penser des mesures à mettre en place. Dans ces établissements, le brassage des élèves a eu lieu, la circulation potentielle du covid19 également, alors que l’urgence sanitaire est déclarée et que de nombreux territoires sont plus fortement touchés que lors de la première vague.
Mais dans d’autres collèges et lycées, les enseignants ont estimé qu’en ce cas, ils reprendraient le travail, eux aussi, « si possible ». C’est le cas en Seine-Saint-Denis, territoire extrêmement meurtri par le covid19, où les élèves n’ont pas été accueillis dans certains établissements, depuis la rentrée. Les professeurs exercent leur droit de retrait, afin de dénoncer le « danger grave et imminent » qu’ils encourent et feraient encourir aux élèves et aux familles s’ils reprenaient leurs élèves en classes entières. Ce droit de retrait est refusé par le Rectorat, et les enseignants perdent donc leurs journées de salaires, tout cela pour protéger la population.
La possibilité d’un enseignement à distance prévu dans le protocole…
Lueur d'espoir. « Si la situation sanitaire locale le justifie ou si un établissement au regard de sa taille et de son organisation n’est pas en mesure de respecter les règles posées par le présent protocole, un enseignement à distance pourra être partiellement mis en œuvre, avec l’accord et l’appui du rectorat. »
Le passage suscité du protocole officiel laissait entendre que les élèves pourraient être à mi-temps chez eux, pour des établissements où les élèves et familles seraient particulièrement exposées aux risques sanitaires. Pour que cette possibilité permette réellement de réduire les risques, cela suppose également que cet enseignement à distance permette de diviser les classes en deux groupes.
Le 3 novembre, le Rectorat envoie aux chefs d’établissement un courriel dans lequel il est proposé d’envoyer des « projets » à la DANE (Direction Académique du Numérique Educatif) pour mettre en place cet enseignement à distance partiel.
Chose faite : dans plusieurs établissements, les personnels rédigent eux-mêmes des « projets » d’organisation prévoyant un enseignement partiellement à distance et partiellement en présentiel… grâce à des demi-groupes. Les élèves ont cours chaque jour, le groupe A le matin et le groupe B l’après-midi, tandis que l’autre demi-groupe reste chez lui avec du travail fourni par les professeurs. Puis, inversement la semaine suivante, groupe B le matin, groupe A l’après-midi. Une solution parfaite, permettant de travailler plus efficacement et dans des conditions de sécurité réunies. Solution idéale, qui palie même aux problèmes d’équipement numérique des familles : pas ou peu d’équipement informatique, mauvaises connexions, illittéracie numérique…
Le 4 novembre, le Rectorat refuse en bloc les demi-groupes. Les « projets » de demi-groupes proposés par les équipes sont rejetés par la hiérarchie.
…une vraie fausse possibilité
A quoi correspond alors la possibilité laissée ouverte d’un enseignement à distance ? Si les classes restent en effectifs entiers, le problème de la distanciation physique d’un mètre reste le même. Le brassage des élèves également. Les classes n’auraient pas cours tous les jours, contrairement à une organisation en demi-groupes.
Mais à bien lire le texte, le protocole ne laissait pas vraiment cette possibilité ouverte.
« Si la situation sanitaire locale le justifie » : en Seine-Saint-Denis, où le taux de moralité explose, on penserait que cette disposition puisse d’appliquer. C’est bien le département où des projets d’organisation en demi-groupes ont été envoyés au Rectorat.
« ou si un établissement au regard de sa taille et de son organisation n’est pas en mesure de respecter les règles posées par le présent protocole » : salles petites où les élèves sont assis à 10 cm de distance, couloirs d’1,50 m, problèmes posés par la cantine… ce sont bien les contextes locaux des établissements qui ont demandé les demi-groupes. Car ils devraient faire partie de ces cas où l’on « n’est pas en mesure de respecter les règles posées par le présent protocole ».
Sauf que tout tient dans ces mots : « N’est pas en mesure de respecter les règles »… Mais si les règles posées par le protocole, c’est de ne pas appliquer les recommandations chaque fois que l’on n’y parvient pas, alors, on peut toujours respecter les règles. Dès lors, cette possibilité du protocole concernant un enseignement à distance peut être toujours reboutée. Cette disposition est vide, elle laisse une vraie fausse possibilité d’enseignement à distance.
C’est ainsi que le ministre, les recteurs et les chefs d’établissements peuvent continuer de dire que le protocole sanitaire officiel est applicable et appliqué. En reprenant les mêmes éléments de langage rassurants : « la plus grande distance possible entre chaque élève », « une aération aussi souvent que possible », « limitation du brassage ». Tout ceci pour masquer le fait qu’aucune mesure significative n’est prise dans les établissements scolaires, que le virus peut y circuler activement et mettre en péril des populations déjà meurtries comme en Seine-Saint-Denis.