Il fait froid. J'ai marché une heure pour arriver devant les locaux de l'asso. J'attends que quelqu'un arrive. Une dame vient, sonne au même interphone que moi. Je lui dis qu'il n'y a personne et je me présente. Elle me fait entrer par une autre porte et nous montons aux bureaux. Je suis déjà venu pour mes entretiens d'embauche. L'endroit est beau, grand et ouvert sur un parc. Au fil de la matinée, les autres membres de l'équipe arrivent. Je note les prénoms et les missions pour ne pas oublier.
"Ce qui m'a marqué ici, c'est que les gens incarnent vraiment les valeurs qu'iels défendent."
Une des travailleuses récemment arrivée me confie ses impressions. Trouver un lieu où les convictions sont plus que des mots sur un projet de service, c'est un bol d'air après 9 mois dans une institution sclérosée.
Je lis en attendant la première réunion "En chienneté" un roman graphique de Bast sur un atelier BD dans un centre pénitentiaire pour jeunes.
Lors d'une première réunion, j'écoute une infirmière qui développe un projet de santé sexuelle HSH en prison. Malgré les pratiques, la parole autour de ce sujet n'existe pas. C'est un sujet très difficile à aborder parce qu'il touche au sexe entre hommes. La prison est un milieu très homophobe. L'omerta fait que les pratiques sexuelles sont cachées et qu'arriver avec un message et des outils de prévention des risques sexuels, c'est compliqué.
Le sujet m'entraîne dans une réflexion. J'ai souvent vu des slogans "L'homophobie tue" ou "silence = mort". A cause de ce silence, des détenu·e·s se contaminent et peinent à accéder aux dépistages et aux traitements. C'est l'illustration brutale de ce slogan. On aborde aussi la question des personnes trans en prison. L'accès aux hormones est la première question qui me vient en tête. La loi prévoit une continuité des soins de santé pour les détenu·e·s. Dans la pratique, ça peut trainer. Les personnes trans, femmes et hommes, sont incarcéré·e·s dans la prison pour femmes.
J'aimerais savoir combien de personnes se contaminent au VIH, VHC et autres IST en prison. J'aimerais savoir combien de personnes trans sont incarcérées et s'iels arrivent à se procurer leurs hormones par d'autres moyens. Il existe très peu de donnée statistique sur la population carcérale. Une grosse partie du travail de l'association est d'observer et de documenter les réalités des détenu·e·s pour les faire remonter aux pouvoirs publics, pour faire valoir le droit à la dignité humaine. C'est un travail d'équilibriste où la diplomatie prime car les rapports avec les administrations et les équipes médicales des prisons doivent rester cordiaux pour ne pas mettre les détenu·e·s ou nos interventions en danger.
En rentrant chez moi le soir, je vois le mail d'autorisation pour entrer avec l'équipe dans deux centres de la région. Je rentrerai en prison mercredi.