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Billet de blog 7 octobre 2015

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Boat people d'hier et réfugiés d'aujourd'hui : Quelles différences?

En s’engageant à accueillir 25 000 réfugiés de plus dans les deux prochaines années, la France est clairement l’un des pays de l’Union Européenne le plus hospitalier, loin tout de même derrière l’Allemagne qui a reçu début septembre  jusqu’à 20 000 personnes en un seul week-end.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En s’engageant à accueillir 25 000 réfugiés de plus dans les deux prochaines années, la France est clairement l’un des pays de l’Union Européenne le plus hospitalier, loin tout de même derrière l’Allemagne qui a reçu début septembre  jusqu’à 20 000 personnes en un seul week-end. Cette « générosité » française est pourtant critiquée par ceux qui pensent que les conditions économiques actuelles ne permettent pas l’accueil de nouvelles populations, réfugiés ou migrants ,ou ceux qui craignent  surtout l’appel d’air que ne manquerait pas de générer cette ouverture, pourtant limitée au regard de l’ampleur de la demande: 417 000 demandes d’asile déposés dans les 28 pays de l’UE durant le premier semestre 2015. Essayons de répondre à ces objections.

Concernant l’argument relatives aux conditions économiques, un petit saut historique parait nécessaire : Comme le rappelait le démographe Cris Beauchemin lors d’un table-ronde le 22 septembre dernier, ou encore  Pierre Haski co-fondateur de rue 89 dans un article récent, ce sont 128 531 réfugiés vietnamiens, cambodgiens et laotiens fuyant les exactions des régimes  de leurs pays  qui sont entrés légalement en France en 1979, soit  au moment où la crise économique et sociale battait son plein jusqu’à stopper l’immigration de travail. Un bateau appelé « Ile de Lumière » avait même été affrété par l’ONG Médecins Sans Frontière, soutenu par le gouvernement, pour sillonner la mer de Chine et y recueillir des réfugiés ;  une initiative qui fait écho à la récente action en Méditerranée « Boat4people » portée par un collectif d’associations, dont la portée était essentiellement symbolique et en aucun cas mandatée ou soutenue par le gouvernement actuel[1].

Boat people en mer de Chine, sauvés par le bateau humanitaire français Ile de lumière (FRANCOIS GRANGIE/AFP - Rue 89)

Certes, le contexte politique diffère : En pleine guerre froide,  la France avait un intérêt évident à soutenir à aller vers ces personnes fuyant les exactions de leurs régimes politiques communistes, en partie soutenus par l’URSS. Néanmoins l’intérêt politique, manifestant plus déterminant que la situation économique dans la décision du gouvernement de l’époque, ne justifie pas en soi la volonté politique d’’accueil des réfugiés, ce dernier faisant l’objet d’une obligation internationale pour les Etats d’après la Convention de Genève de 1951.  Du point de vue de la situation économique et du marché de l’emploi,  la suite a montré aussi que cet afflux de nouvelles personnes et l’installation d’une partie d’entre elles, qui composent une part  importante de la communauté asiatique vivant et travaillant aujourd’hui en France, n’a pas entrainé une dégradation de l’économie française, tout au contraire.  Ajoutons, pour les tenants d’une vision culturaliste de l’intégration, selon laquelle certaines communautés seraient davantage aptes à s’intégrer que d’autres, que l’intégration de ces réfugiés a fait, à l’époque,  l’objet de mesures très volontaristes et même dérogatoires, telles que l’obtention de cartes de travail avant même la délivrance du titre de séjour, ou encore des mesures incitatives vis-à-vis des employeurs ; autant de mesures favorisant  à long terme l’intégration de ces personnes, aujourd’hui manifeste. Peut-on en dire autant aujourd’hui, quand on voit que les programmes d’intégration, mobilisant déjà peu de moyens, ne sont pas reconduits?[2]

Ensuite, concernant l’argument plus général de l’ « appel d’air », selon lequel le fait d’accepter un certain nombre de personnes inciterait automatiquement d’autres à venir, les faits le contredisent dans la majorité des cas : L’intégration de la Pologne dans l’espace Schengen n’a pas été suivi d’arrivées massives de migrants polonais mais a plutôt favorisé les mobilités dites « pendulaires » faites d’allers et retours.[3] De même, les régularisations massives réalisées par l’Italie et l’Espagne entre 2003 et  2005 n’ont pas entrainé une augmentation de l’immigration. Comme l’a rappelé dernièrement la politologue Hélène Thiollet*, la cause de l’augmentation des réfugiés n’est pas le fait que leurs prédécesseurs aient été accueillis mais est bien l’aggravation des crises dans les pays d’origine. [4]


[1] Au sujet de Boat 4 people, pour en savoir plus : www.boats4people.org

[2] Sur ce point, voir en particulier le rapport d’analyse de la politique d’intégration française par Patrick Simon et Mélodie Beaujeu sur le site du projet (synthèse disponible) : http://www.project-upstream.eu/publications/country-reports

[3] Des recherches de plus en plus nombreuses portent sur les réalités de ces mobilités faites d’allers et retours, par contraste avec la compréhension classique de l’immigration destinée à une installation durable. Voir notamment le projet MAFE porté par l’INED : mafe.site.ined.fr

[4] Emission encore visible sur le lien suivant : http://www.franceinter.fr/emission-3d-le-journal-migrants-et-passeurs-en-mediterranee

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