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Billet de blog 9 septembre 2023

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Moi, végane, écolo et fatiguée - 8. Steak ou galette ?

La guerre des mondes et des mots entre produits animaux et végétaux est relancée. Amateurs ou pourfendeurs de ces alternatives végétales, tout le monde se déchire sur la question.

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La guerre des mondes et des mots entre produits animaux et végétaux est relancée chez les politiques et les professionnels de l’agro-alimentaire.
Chez les consommateurs, elle n’a jamais cessé de faire rage. Amateurs ou pourfendeurs de ces alternatives végétales, tout le monde se déchire sur la question.
Je vais tenter dans ce billet d'y apporter quelques éléments de réponse, tant sur le fond que sur la forme.

Avertissement : je ne me positionne pas pour au contre les produits en eux-mêmes, et encore moins en ce qui concerne les régimes alimentaires. Les produits animaux ont leurs vertus d’un point de vue santé (et même écologique pour certains), les produits végétaux ont les leurs. Mon opinion sur les produits industriels en revanche est nettement plus tranchée, mais la guerre du vocabulaire s’étend largement au-delà de l’industrie agro-alimentaire car elle concerne tout autant les recettes maison, certains des plus ardents détracteurs des simili carnés n'hésitant pas à affirmer qu'on n'aurait même pas le droit d'employer les mots "steak", "saucisse" ou "lait" sur son blog ou sa page facebook pour les désigner.


Pourquoi
chercher à imiter la viande ou les produits animaux si on ne veut plus en manger ?

C’est quelque chose qui étonne voire indigne certaines personnes, y compris parmi les végés/véganes eux-mêmes d'ailleurs. Pourquoi, alors qu’on tourne le dos à la viande, au fromage, au poisson, aux œufs…, pourquoi diable essaye-t-on d’en créer des imitations à base de végétaux ?

1. Par goût, par nostalgie

Qu'on se positionne contre l’exploitation animale ou tout simplement contre le fait de tuer des animaux si on peut faire autrement, c’est en général un choix intellectuel qui ne va pas forcément de pair avec un quelconque dégoût physique envers les aliments issus des animaux.
De plus, certains deviennent végétariens ou flexitariens pour d’autres raisons que l'éthique, comme la santé ou l’écologie, mais être convaincu que les rillettes sont mauvaises pour la santé n'a jamais passé à quiconque l'envie d'en manger.

Qu’ils aient raison ou tort d'adopter ces restrictions alimentaires importe peu : ils n’ont pas arrêté de consommer ces produits parce qu’ils ne les aimaient pas ; il est normal et légitime de leur part d’avoir envie de retrouver des goûts, des textures, des odeurs, des présentations ou des usages qu’ils affectionnaient et dont ils ont l’habitude.
Il se trouve qu’un grand nombre de préparations végétales, faites maison ou non, le leur permettent alors pourquoi s’en priveraient-ils ? et pourquoi n’en créeraient-ils pas de nouvelles si le cœur leur en dit ?

2. Pour la convivialité

Les plats typiques occidentaux étant généralement élaborés à partir d’un produit type viande ou poisson entouré de quelques légumes / céréales / légumineuses, lorsqu’on est avec des non-végéta*iens cela peut être pratique et sympa de pouvoir manger le même type de repas que les autres et de ne pas s’en différencier au premier coup d’œil. Grâce aux substituts végétaux, tout le monde peut manger gaiement un burger, une choucroute garnie ou partager un barbecue.

3. Pour faciliter une transition

Pour la même raison que plus haut, à savoir la composition de la plupart des plats traditionnels, quand on souhaite réduire ou supprimer sa consommation de certains produits l’utilisation de simili peut faciliter la tâche.

4. Pour le fun !

La cuisine végétale est très inventive. Je ne suis pas très utilisatrice de simili-carnés moi-même, mais quand de la pastèque marinée et rôtie sort du four avec un aspect et une texture de thon cru, je trouve ça épatant. Créatif. Et fantastique.


Voilà pour le fond. Maintenant passons au deuxième point qui fâche, et qui fâche peut-être encore plus : la forme.

Pourquoi ne pas inventer de nouveaux noms au lieu d’utiliser les mots steaks, saucisse, fromage, pâté, lait, etc. ?

Cette question sous-entend que ces mots, par essence, devraient être réservés aux produits animaux.

1. Un peu d’étymologie


« Steak », à l’origine, cela veut dire « tranche » en anglais. De viande ou de poisson, certes.
Mais on constate déjà que si on se la joue psychorigide, notre bon vieux « steak haché 20% de MG », « fût-il pur bœuf », ne devrait pas s’appeler ainsi.


« Fromage » signifie « moulé dans une forme ».
D’où le « fromage de tête » qui n’a rien d’un fromage, tout le monde en conviendra, mais qui ne suscite pourtant pas de réprobation générale.


« Saucisse », « saucisson », ça vient du latin « salsus » qui veut dire « salé ».
Je ne sais pas si les teckels, ces chiens qu’on surnomme souvent « saucissons sur pattes » ou « chiens saucisses », sont particulièrement salés ou non. Dans les « hot dogs » peut-être ?

« Nugget » vient probablement de « nug » qui voulait dire « morceau », mais à l'origine on l’utilisait dans l’expression « golden nugget », pour « pépite d’or ».
Les chercheurs d’or se sont-ils élevés contre le détournement de ce mot pour désigner un morceau de poulet pané et frit ? J'en doute. Y a-t-il eu des gens suffisamment distraits ou crédules pour confondre les deux ? J'en doute tout autant.

« Pâté » à l’origine vient de « pâte » et désignait une pâtisserie fourrée d’une préparation à la viande. C’est bien plus tard que le mot a fini par désigner la garniture elle-même.

Rien qu’avec ces quelques exemples parmi les plus courants, force est de constater que le vocabulaire qu’on associe traditionnellement avec les produits animaux a déjà subi pas mal de transformations, évolutions ou emprunts au cours des siècles.
Que les professionnels ou amateurs de viande1 veuillent en faire leur pré carré n’est donc pas aussi défendable qu’ils voudraient bien le faire croire.

2. Des figures de style

Les fruits de mer ne sont pas des fruits (manger 5 moules ne suffit pas à suivre les recommandations du PNNS concernant les fruits et légumes).
Les noix de St Jacques ne sont pas des noix (malgré leurs coquilles).
Une boule de glace à la vanille arrosée de chocolat n’est pas une dame (ni blanche ni d’une autre couleur).
Les pavés de saumon ou de bœuf ne servent pas de revêtement pour les routes (ni de projectiles sur les barricades).
Une noix de beurre sur votre poire (de bœuf) ?
De la crème solaire ? (oui, mais pas dans mon café).
Du lait démaquillant (garanti sans lactose, et pour cause).
La Voie lactée (« Les Français sont des veaux », disait de Gaulle, mais notre galaxie sort-elle pour autant des pis d'une vache géante ?).
Des tomates Coeur de boeuf (pour les protéines ?).
Un panneau en laine minérale (quel beau métier : tondeur de verre et de roche).
De l’huile de moteur et des chevaux fiscaux (les rois de l'évasion).
Sans oublier, comble de l’ironie, les farines animales (prion pour qu'elles ne reviennent pas).

Minuscule florilège, mais qui suffira à démontrer je l'espère que notre bonne vieille langue se rit depuis longtemps des frontières, y compris entre produits animaux et végétaux.

3. Pour la clarté, le référencement ou la facilité de recherche

Imaginons que pour une raison quelconque je cherche à faire un clafoutis sans lait. Peut-être y suis-je allergique ou intolérante, peut-être que je n’en consomme pas par choix, que c’est trop cher ou que tout bonnement j’ai oublié d’en racheter et que celui que j’avais dans mon frigo a tourné. Peu importe.

Si je tape dans mon moteur de recherche préféré « clafoutis sans lait », « clafoutis végétalien » ou « clafoutis végane », je vais trouver immédiatement mon bonheur. Pourquoi ? Parce que ceux qui auront adapté la recette d’origine2 n’auront pas inventé un autre nom. Ils ne l’auront pas appelé « prisolcho à la cerise », et heureusement car si c'était le cas je ne vois pas par quel miracle j’aurais pu tomber dessus en cherchant à faire un clafoutis sans lait.
C’est la même chose pour une bouillabaisse sans poisson, une mozzarella sans lait, une quiche lorraine sans œufs ni crème ni lardons ou un bourguignon sans viande.

Et c’est pour cette raison que s’il y a bien un argument qui ne tient pas, c’est celui de la tromperie, justement.

Alors qu'un « prisolcho à la cerise » même accompagné d’une photo ne contiendrait pas grand-chose comme information si ce n’est qu’il y a de la cerise dedans (on l’espère tout du moins), il n’y a aucune ambiguïté à parler de « clafoutis végétalien », « bouillabaisse végétalienne », « mozzarella végétalienne », « lait de noisette », « fromage de soja » ou même « poulet végétal ». Ou, pour revenir aux produits industriels courants, de « steak de soja », « saucisse de tofu », « merguez végétales ». On peut trouver ça surprenant, débile ou choquant à la limite, mais ça n’est pas du tout trompeur.

À noter que parfois, lorsque le nom original et/ou l’adaptation s’y prête, on va tomber sur des intitulés un peu différents mais toujours aussi clairs : on va ainsi parler de « chili sin carne », de « bourguignon de seitan », de « faux-mage » parfois (dans ce cas le côté 100 % végétal n’est pas implicite, en revanche il est impossible de crier à la volonté de tromperie). La recette de pastèque rôtie dont je parlais plus haut a circulé tout l’été dernier sur les réseaux sous le nom de « pasthon ».


Bref, qu’on se contente de rajouter « végétal(ien) / végane » à l’intitulé de la recette d’origine ou qu’on joue avec les mots comme dans les exemples qui précèdent, il est toujours parfaitement clair qu’il s’agit d’un produit ou plat végétal dont le but est de ressembler et/ou se substituer au produit ou plat traditionnel.

4. Une parenthèse sur les équivalences nutritionnelles


C’est la seule question qui pourrait réellement se poser à mon sens. Et toujours à mon sens en règle générale, non : d’un point de vue nutritionnel les simili végétaux ne sont pas équivalents à leurs homologues animaux. Surtout en ce qui concerne le fait maison, les recettes végétalisées étant souvent plus riches en glucides par exemple.3
C’est moins vrai pour les produits industriels, dans lesquels les produits bruts ne sont plus qu’un lointain souvenir et qui peuvent plus facilement atteindre un objectif précis en terme de répartition des divers nutriments.
Mais est-ce une raison pour interdire les appellations steaks, saucisses et autres laits végétaux ?

Après tout, si on ose appeler « fromage » aussi bien du Comté affiné 24 mois que du « Babybel » ou « lait » aussi bien du lait cru tout juste sorti du pis de la vache ou du lait écrémé UHT sans lactose dans son carton plastifié…

À mon humble avis si on se permet d'appeler « boissons » des liquides bourrés d'additifs et de colorants dont certains susceptibles de vous coller un cancer, pourquoi ne pourrait-on pas appeler « lait d'avoine » une boisson à base d'avoine et d'eau dont l'aspect rappelle fortement le lait animal et que l'on peut utiliser en cuisine de la même manière ?
Si on a le droit de préciser « goût chocolat » pour des gâteaux qui ne contiennent pas de chocolat, pourquoi la mention "steak végétal" serait-elle plus trompeuse  ?
Et y a-t-il vraiment plus de points communs entre une saucisse de Morteau artisanale et une saucisse industrielle Knacki au poulet qu’entre cette même saucisse Knacki et la saucisse Knacki végétale4 ?

5. Évolution

Dans le domaine culinaire comme ailleurs, les pratiques ont toujours évolué. Les recettes sont transmises, volées parfois, transformées à travers les époques et les pays, adaptées aux produits locaux ou au mode de vie, pour bien souvent ne plus ressembler que de très loin à l’originale.

Si vous avez dégusté un « taboulé à l'orientale » cet été en France par exemple, il y a fort à parier qu’il n’avait pas grand-chose à voir avec la recette levantine originale constituée essentiellement de persil, de menthe et d’oignon blanc, qui ne contenait ni tomate ni raisins secs et encore moins le poulet qu’on trouve parfois dans notre déclinaison française.

Outre cette évolution « naturelle », on trouve depuis longtemps des adaptations de recettes ou produits pour de multiples raisons (facilité de conservation, usage, santé, évolution des goûts…).
Comment les appelle-t-on ?
Ça alors ! On garde le nom d’origine en y ajoutant : « pasteurisé », « stérilisé », « liquide », « allégé », « sans lactose », « végétal(ien) », « sans gluten », « sans sucre ajouté », « enrichi en … », etc.

Ou alors on précise la variante de la même façon : « cake salé », « tarte Tatin ».

Deux exemples parmi tant d'autres :

- la pizza, qui à l’origine n’était pas à la tomate puisque ce légume-fruit n'avait pas encore été introduit en Europe, existe maintenant en déclinaisons multiples et variées sans que grand-monde ne s’en offusque, et pour le plus grand bonheur des gourmands. On en fait même des sucrées.


- évolution plus récente mais tout aussi bienvenue, les galettes5 des rois de l’Épiphanie ne sont plus proposées uniquement fourrées à la frangipane6 mais aussi aux pommes ou au chocolat, et gageons que la liste des options va continuer à s’étoffer au fil du temps.7 Ceux que ça dérange ne sont pas obligés d’en manger et les autres, particulièrement ceux qui ne sont pas fans de la frangipane, apprécient.

Pourquoi devrait-il en être autrement pour les steaks, saucisses, pâtés, laits ou fromages végétaux ?

Pourquoi cette indignation très sélective ?

Conclusion

N’y aurait-il pas des choses plus importantes sur lesquelles il serait urgent de trancher, voire légiférer ?

Par exemple : pain au chocolat, ou chocolatine ?


1. Le mot "viande" d'ailleurs désignait à l'origine toute sorte de nourriture, y compris végétale. C'est drôle, non ?

2. Si tant est qu’il y ait une recette originale ! Entre les versions avec/sans crème ou beurre, les différentes variétés de cerises utilisées, et ceux qui les dénoyautent car ils ne trouvent désagréable de devoir recracher 10 noyaux par bouchée…

3. C’est à mes yeux un défaut récurrent de la cuisine végétalienne lorsqu’elle s’appuie trop sur les simili. Remplacer la viande, les œufs ou le fromage par des produits à base de fécule, compote ou autre ingrédient riche en glucides, ça n’est pas grave si c’est occasionnel. Quand ça devient systématique, ça peut être plus gênant si on conserve les mêmes accompagnements…

4. Dont pour le coup l’appellation est bien trompeuse car contenant des œufs…

5. Tiens, d’ailleurs, la galette… à l’origine, mot qui désigne des gâteaux plats et ronds. Et ça serait plus approprié que « steak » pour une préparation à base de légumes ou légumineuses ?

6. Savez-vous que le mot « frangipane » désignait d’abord une plante et que c'est seulement dans un second temps qu'il a été utilisé pour les préparations ayant un parfum d’amande, ce dernier ressemblant au parfum de la plante frangipane ?

7. Et ne me lancez même pas sur les évolutions de la fameuse fève !

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