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Billet de blog 2 juin 2025

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Redoubler d’intelligence : en défense d’un redoublement repensé

Longtemps décrié, le redoublement a été marginalisé au nom de la bienveillance scolaire. Pourtant, dans certains cas, il demeure un levier de réussite et de réparation. Plutôt que de l’écarter par principe, ne faudrait-il pas le repenser avec intelligence et équité ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il fut un temps où redoubler sa classe était un événement marquant, parfois vécu comme un échec, parfois comme une seconde chance. Aujourd’hui, le redoublement est devenu l’exception, presque un tabou pédagogique. En France, il est officiellement « possible » mais fortement encadré, souvent déconseillé, parfois contourné. La tendance générale est claire : on préfère faire passer, accompagner, différencier plutôt que de faire redoubler. Ce choix repose sur une idée noble — celle d’éviter la stigmatisation, de préserver l’estime de soi, de ne pas briser des trajectoires déjà fragiles. Pourtant, à force de vouloir ménager les apparences, ne risquons-nous pas de renoncer à une vérité plus complexe : le redoublement peut être, dans certaines situations, un acte de lucidité, voire de justice pédagogique.

L’illusion de la promotion automatique

La réduction drastique du redoublement est souvent justifiée par des études soulignant ses effets négatifs : démotivation, baisse de l’estime de soi, coût économique. Certes. Mais ces effets ne sont ni systématiques, ni universels. Ce que l’on oublie souvent de rappeler, c’est que le passage automatique dans la classe supérieure ne garantit pas davantage la réussite. Pire, il peut enfermer les élèves en difficulté dans une spirale de lacunes accumulées, d’évaluations humiliantes, de stratégies d’évitement. On les laisse alors « passer pour ne pas casser », au risque de les conduire vers un échec différé.

Le redoublement, bien pensé, bien préparé, bien accompagné, peut offrir un espace-temps réparateur. Il ne s’agit pas d’un redémarrage à l’identique, mais d’un recalibrage. Reprendre des fondamentaux, retrouver une confiance en soi scolaire, s’autoriser un nouveau départ — pour certains élèves, c’est moins un échec qu’une respiration.

Redoubler, c’est résister

Dans un monde obsédé par la vitesse, le rendement, le passage obligé, redoubler, c’est presque un acte de résistance. Résister à l’idée que tout le monde doit avancer au même rythme. Résister à l’obsession du nivellement par le haut ou par le faux-semblant. Résister à cette logique managériale qui transforme l’école en tapis roulant, sans pause ni recul.

Redoubler peut aussi être un levier d’égalité. Pour les élèves allophones, nouvellement arrivés, ou issus de milieux précaires, pour ceux dont le parcours est heurté par une maladie, un deuil, une migration, le redoublement peut devenir une mesure de bienveillance et non de sanction. C’est parce qu’on croit en leurs capacités qu’on leur offre une seconde chance, et non parce qu’on les relègue.

Vers un redoublement réinventé

Il ne s’agit pas de défendre le redoublement tel qu’il fut, souvent mécanique, sans projet pédagogique clair. Mais de le réinventer comme un outil au service de la réussite. Un redoublement qui ne serait pas une punition, mais un tremplin. Qui s’accompagnerait d’un tutorat renforcé, d’un plan individualisé, d’un travail avec les familles. Il faudrait même oser, dans certains cas, parler non pas de redoublement mais de parcours étalé : deux ans pour valider une année, dans un cadre structuré, sans culpabilisation.

La véritable injustice n’est pas toujours dans le fait de redoubler. Elle est parfois dans le fait de ne pas le permettre, quand cela serait utile. Elle est dans cette injonction à l’hétérogénéité sans moyens, cette hypocrisie qui laisse les plus fragiles s’enliser au nom d’un principe d’inclusion désincarné.

Repenser l’échec, refonder la réussite

Il est temps de sortir des postures idéologiques. L’échec scolaire ne se corrige pas par décret, ni par effacement. Il se comprend, se traverse, se transforme. Et parfois, redoubler, c’est avancer. Lentement, mais sûrement.

Il ne s’agit pas de généraliser le redoublement, mais de redonner aux équipes éducatives, en concertation avec les familles, la liberté de l’envisager sans culpabilité. Refuser un redoublement systématique n’est pas une faute. L’interdire par principe peut l’être.

Meryam ENNOUAMANE JOUALI 

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