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Billet de blog 2 juillet 2025

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Timothy, ou l’échec programmé d’une République sourde à la détresse

À 18 ans, Timothy voulait tuer. Avant cela, il avait surtout été oublié. Ce drame évité de justesse révèle l’abandon systémique de la santé mentale des jeunes. Il est temps de politiser cette urgence.

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Timothy aurait pu tuer. Il ne l’a pas fait. Pas encore.

Il a été arrêté à temps, avant que sa solitude armée ne se transforme en fait divers sanglant. Mais ce n’est pas un soulagement. C’est un signal d’alarme.

À 18 ans, Timothy est ce que les médias appellent déjà un « masculiniste radicalisé », un « incel ». Un jeune homme désespéré, abreuvé de discours haineux sur TikTok, qui envisage de régler ses comptes avec la société à l’arme blanche. Un profil isolé, paraît-il. Mais ce qu’il incarne est tout sauf un accident. Il est le produit toxique d’un abandon collectif.

Timothy est le nom que l’on donne à tous ces adolescents que l’on a laissé tomber. À ceux qu’on a enfermés dans des cases trop étroites pour leur désarroi. À ceux pour qui aucun adulte n’a pris le temps d’écouter les non-dits, les pleurs tus, les colères rentrées. Car on ne devient pas radicalisé par hasard. On le devient à force d’errance, d’humiliation, d’indifférence.

Ce que Timothy révèle, c’est la faillite d’un système scolaire et social qui ne sait plus soigner.

Combien faudra-t-il de tentatives de passage à l’acte, de burn-outs adolescents, de suicides déguisés en silence pour que les responsables politiques cessent de détourner le regard ? À force de chronométrer les savoirs, d’évaluer jusqu’à l’usure, de parler de “résilience” comme on prescrit une pilule, l’école est devenue le théâtre d’un désastre mental rampant.

Où sont les psychologues scolaires ? Les cellules de veille ? Les politiques de prévention à la hauteur des enjeux ?

Les rectorats rationalisent, les ministères communiquent, et les professeurs, eux, s’épuisent à boucher les brèches d’un navire qui prend l’eau de toutes parts. Ce n’est plus tenable.

Timothy est le symptôme, pas la cause.

C’est à nous, adultes, décideurs, éducateurs, de reconnaître la dimension politique de cette détresse : car le mal-être des jeunes n’est pas une fatalité. C’est le fruit de choix. Le résultat de décennies de sous-financement, de mépris des métiers du soin et de l’éducation, de discours sécuritaires qui criminalisent au lieu de comprendre.

On a construit une société où les garçons n’ont plus le droit de pleurer, mais peuvent haïr. Où les émotions sont des faiblesses à dissimuler. Où l’écoute est sous-traitée à des algorithmes. Résultat : certains se tournent vers des communautés en ligne, faussement protectrices, réellement destructrices.

Il est temps de dire que la santé mentale est une urgence politique.

Qu’elle exige des moyens, une stratégie, un horizon.

Pas des rustines. Pas des comités. Pas des minutes de silence après chaque drame.

Timothy, c’est l’ultime avertissement. Le prochain ne sera peut-être pas arrêté à temps.

Meryam ENNOUAMANE JOUALI 

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