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Meryam ENNOUAMANE JOUALI

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Billet de blog 2 juillet 2025

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Urgences sous tension, diagnostics sous pression

Venue pour une douleur à l’œil, je suis ressortie des urgences avec un mot brutal : « sclérose en plaques ». Sans examen, sans fond d’œil. Ce billet est un appel à réhumaniser la médecine d’urgence et à mesurer l’impact des mots sur des patients déjà vulnérables.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je n’écris pas ce texte en colère. Je l’écris blessée. Ébranlée. Et surtout, en tant que citoyenne, patiente et professionnelle de l’éducation, profondément inquiète de ce que devient la médecine d’urgence dans certains hôpitaux universitaires.

Je me suis rendue aux urgences récemment, pour une douleur à l’œil gauche. Une douleur vive, inhabituelle, accompagnée d’un trouble visuel passager. J’étais inquiète, bien sûr. Je suis diabétique, hypertendue, avec un antécédent de rétinopathie traitée au laser. Le tableau était clair, le contexte connu, la souffrance réelle.

Mais ce que j’y ai trouvé n’a pas été de l’écoute. Ni de la rigueur. Encore moins de l’humanité.

Ce que j’ai reçu, c’est un mot. Un mot terrible. Jeté brutalement dans la conversation comme un couperet : "C’est peut-être une sclérose en plaques."

Sans imagerie.

Sans fond d’œil.

Sans prise de sang.

Sans anamnèse approfondie.

Et surtout : sans considération pour ce que cela provoque dans le cœur et l’esprit d’une patiente.

La violence n’est pas toujours physique

Ce que j’ai vécu, c’est une violence institutionnelle sourde : celle d’une médecine d’urgence qui, sous prétexte de rapidité, pose des hypothèses graves sans examen, sans filet, sans prudence.

La douleur ? Elle a été à peine explorée.

Mon parcours médical ? À peine effleuré.

Mon ressenti ? Évacué.

Mon stress, mon épuisement, mon état général ? Invisibles.

 La médecine n’est pas une devinette

Heureusement, j’ai consulté un ophtalmologue. Sérieux, posé, attentif. Il a fait un fond d’œil, des examens d’imagerie, pris ma tension oculaire, analysé en détail la situation. Il a écarté formellement toute hypothèse neurologique. J’ai un œil fatigué, abîmé par le diabète, pas un cerveau malade.

Puis mon médecin traitant m’a prise en charge avec calme et compétence. Un traitement adapté a été prescrit. Et ma douleur a été entendue.

Ce que je dénonce ici, ce n’est pas un soignant. C’est un système.

Un système où les urgences deviennent des machines à tri rapide,

où le mot “diagnostic” est utilisé comme un outil de dissuasion ou de délestage,

où les patient·e·s sortent plus inquiets qu’en entrant,

et où la douleur devient secondaire face à l’obsession de catégoriser.

 Je témoigne ici pour tous les patients qu’on n’écoute pas

Pour toutes celles et ceux à qui on balance un mot trop lourd pour être porté seul.

Pour ceux qu’on renvoie chez eux avec un mot d’hôpital dans la tête, mais aucune certitude dans le cœur.

Pour rappeler que le soin commence par l’écoute, pas par la supposition.

 Il est temps de remettre de l’éthique dans l’urgence.

Diagnostiquer, ce n’est pas deviner.

Accompagner, ce n’est pas angoisser.

Soigner, ce n’est pas seulement trier.

Je ne demande pas la perfection. Je demande de la mesure.

Et je pose cette question simple à nos hôpitaux universitaires :

 Peut-on encore vous faire confiance, si la douleur devient invisible et la parole médicale, imprudente ?

Meryam ENNOUAMANE JOUALI 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.