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Meryam ENNOUAMANE JOUALI

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Billet de blog 3 juin 2025

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Quand la charcuterie fait polémique.

Quand un buffet sans charcuterie et des femmes voilées deviennent objets de suspicion, c’est la République qu’on travestit.

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Il y a des mots qui sentent le rance. Comme un vieux fromage sorti d’un placard mal aéré. Le commentaire publié par un certain Jean Chuberre, largement relayé sur les réseaux sociaux, en est un parfait exemple. Derrière une fausse neutralité se cache une inquiétante stigmatisation ciblée, un discours bien rôdé, pétri d’amalgames, et qui fleure bon les relents d’un colonialisme culturel jamais digéré.

Ce monsieur s’indigne que, lors d’un "verre de l’amitié", aucun saucisson ne lui ait été servi, comme si le vivre-ensemble se mesurait à la présence de cochonnaille dans les buffets d’associations. Il voit dans la présence de femmes en abaya une menace à la République, quand celle-ci garantit pourtant — dans sa Constitution — la liberté de conscience, de culte et d’expression. L’universalité des droits qu’il invoque à demi-mot se retourne alors contre ceux qu’il vise : en République, on n’a pas à mériter sa citoyenneté en se rendant invisible.

Il ne s’agit pas ici de défendre une quelconque idéologie religieuse, mais de rappeler que les libertés publiques — notamment celle de s’habiller selon ses convictions — sont non négociables. C’est ce que nous devons aux Iraniennes, aux Afghanes, oui. Mais aussi à toutes celles, sur notre sol, qui ne veulent pas être enfermées dans des stéréotypes projetés sur leur dos par des hommes bien-pensants.

Ce texte aligne des mots comme "halal", "charia", "lamishijab", avec une intention claire : désigner une communauté comme "problème". C’est une vieille recette. Mais quand on en est à guetter le port du voile comme d’autres guettaient jadis l’accent ou le nom de famille, ce n’est plus de la vigilance, c’est de l’obsession.

La France ne peut se permettre de sombrer dans cette paranoïa culturaliste. Strasbourg n’est pas menacée par le "frérisme", mais par l’abandon des quartiers, par la pauvreté, l’exclusion, les discriminations systémiques. Et pendant qu’on fantasme une invasion islamiste dans une salle des fêtes, on évite soigneusement les vrais enjeux : les inégalités, le racisme, les fractures sociales.

M. Chuberre, vous parlez de cécité. Mais la vôtre est sélective. Ce que vous refusez de voir, ce sont des citoyennes engagées dans la vie associative, qui, malgré les regards hostiles, continuent d’agir pour le bien commun. Ce que vous ne digérez pas, ce n’est pas l’absence de charcuterie, mais la présence de femmes libres.

Car oui, être libre, c’est aussi pouvoir dire : je suis musulmane, juive ou chrétienne, je suis voilée ou pas, et je suis ici, légitime, digne, et debout.

Meryam ENNOUAMANE JOUALI 

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