Meryam ENNOUAMANE JOUALI (avatar)

Meryam ENNOUAMANE JOUALI

Professeure de Lettres HG

Abonné·e de Mediapart

48 Billets

0 Édition

Billet de blog 6 juin 2025

Meryam ENNOUAMANE JOUALI (avatar)

Meryam ENNOUAMANE JOUALI

Professeure de Lettres HG

Abonné·e de Mediapart

Au nom de quelle religion ?!

À Lyon, une boutique nommée Jennah affiche à son entrée une règle troublante : « accès interdit aux femmes non voilées ». Musulmane, non voilée et française d’origine marocaine, je refuse cette dérive. Car l’Islam n’est pas cela. Et la France encore moins.

Meryam ENNOUAMANE JOUALI (avatar)

Meryam ENNOUAMANE JOUALI

Professeure de Lettres HG

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il y a des mots qui heurtent. Des phrases qui laissent un goût amer. Des devantures qui deviennent des frontières. En découvrant qu’à Lyon, une boutique du nom de Jennah – littéralement « Paradis » en arabe – affiche l’interdiction d’entrer aux femmes non voilées, j’ai ressenti un mélange de colère, de tristesse et de honte.

Je suis musulmane, non voilée, et profondément croyante. Je suis aussi française, et d’origine marocaine. Et je sais, de cœur et d’esprit, que ma religion ne m’interdit pas d’être qui je suis. Je sais que l’Islam ne se résume pas à un vêtement. Je sais que la foi ne s’impose pas par la porte d’un commerce. Au Maroc, pays musulman, jamais je n’ai vu une telle chose. On y croise des femmes voilées et non voilées, côte à côte, priant ensemble, vivant ensemble, commerçant ensemble. Sans suspicion. Sans jugement. Sans barrière.

Ce type de signal – « voile obligatoire pour entrer » – n’est pas seulement une violence faite aux femmes musulmanes libres de leur tenue. C’est un outrage à la foi elle-même. Car l’Islam ne commande pas la contrainte. Le Coran, que beaucoup prétendent défendre, est explicite : « Nulle contrainte en religion » (2:256). Ce qui est imposé par la peur, le rejet ou la honte n’a aucune valeur aux yeux de Dieu.

Mais au-delà de l’atteinte à la liberté religieuse, c’est aussi une blessure faite à la République. Ce type de dérive renforce tous les amalgames, nourrit les discours de rejet, alimente la peur de l’autre. Il ne faut pas s’étonner que certaines forces politiques se saisissent de ces provocations pour attaquer tout un pan de la population. C’est une double peine pour nous, femmes musulmanes : soupçonnées par la société quand nous portons un voile, exclues de certains lieux quand nous ne le portons pas.

Ce que cette boutique instaure, c’est une forme de ségrégation spirituelle. Une police du vêtement, une police du corps, une tentative de créer des normes religieuses au cœur même de l’espace public. C’est une France fracturée, que certains rêvent de compartimenter. Mais ce n’est pas celle que j’habite, ni celle à laquelle je crois.

Je veux une France où l’on peut être voilée, non voilée, croyante, athée, juive, musulmane, chrétienne ou sans étiquette, et circuler librement. Je veux un Islam qui ne soit pas instrumentalisé pour imposer, exclure, diviser. Et surtout, je veux que ma foi ne soit plus prise en otage par des entrepreneurs de la peur, qui habillent leur radicalisme de piété.

Jennah, ce n’est pas ça. Le paradis ne se mérite pas à l’entrée d’une boutique, ni au prix du rejet de l’autre (car dans le vrai islam, tout le monde est le bienvenu). Il se construit dans la justice, la sincérité et la liberté.

Meryam ENNOUAMANE JOUALI 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.