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Meryam ENNOUAMANE JOUALI

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Billet de blog 13 juin 2025

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Absentéisme et décrochage scolaire : quand l'école ne peut pas tout

K., 16 ans, décroche pour la seconde année consécutive. Pris dans une détresse familiale et psychique, il ne peut ni se projeter ni construire un avenir. Quand l'école ne suffit plus, que reste-t-il à proposer ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il s'appelle K. Il a 16 ans. L’an dernier, il n’a pas obtenu son brevet, ni son CFG. Il n’a pas eu non plus le luxe d’un choix d’orientation. Il n’a pas échoué : il a décroché. Mais avant cela, c’est son environnement qui s’est effondré.

K. vit dans une famille fragilisée par le handicap. Deux petits frères autistes, dont l’un est sévèrement malade. Des parents accaparés, souvent dépassés, parfois absents émotionnellement. À la maison, les crises, les tensions, les murs qui résonnent. À l’école, un vide. Pas un vide d’adultes — nous avons été là. Mais un vide de repères, d’élan vital, de sens.

Il s’est retrouvé dans notre dispositif AMBIPRO, pensé comme une passerelle pour les élèves « entre deux », ceux qui ne sont plus vraiment en 3e, pas encore en seconde, et dont le parcours doit être reconstruit à la main. Le dispositif est ambitieux, structurant, profondément humain. Mais il faut que l’élève soit en capacité d’y entrer.

Or, K. a décroché. Une première fois, puis une seconde. Cette année encore, malgré nos efforts conjoints — réunions de concertation, accompagnement par la PsyEN, l’infirmière, l’assistante sociale, le CPE — nous avons assisté à la reproduction du même échec. K. ne peut pas se projeter, pas formuler de vœux, pas bâtir un projet. Car pour construire, il faut des fondations. Et ses fondations sont minées par une angoisse quotidienne, celle de vivre dans un foyer qui ne le voit plus.

L’échec n’est pas toujours scolaire

Ce que traverse K. est une détresse existentielle. Il ne manque ni d’intelligence, ni de volonté. Il manque de paix, de sécurité, de répit. Il manque de reconnaissance. Il vit ce que vivent tant d’élèves invisibles : un effacement progressif de leur place dans l’institution scolaire, non pas par indifférence des adultes, mais par incapacité structurelle à répondre à des souffrances intimes.

Dans les textes, l'école est inclusive, bienveillante, ouverte à tous. Dans les faits, l'école reste un lieu où les plus fragiles doivent prouver leur capacité à tenir, même quand tout autour d’eux s’écroule. On nous demande de construire des projets avec des jeunes qui, chaque matin, doivent choisir entre venir en classe ou apaiser un petit frère en crise. Entre rêver à un avenir ou survivre à leur quotidien.

À quoi bon ?

C’est une question qu’il m’a posée. Une question qui glace. À quoi bon reconstruire un projet s’il doit être effondré par les mêmes douleurs ? K. ne parle plus de métier, de lycée, d’orientation. Il parle de silence. De fatigue. Il s’éteint à petit feu, pendant que nous tentons de rallumer la mèche avec des fiches métier, des PIIODMEP, des entretiens.

Mais tout projet est voué à l’échec quand il ne s’ancre pas dans une reconnaissance pleine de l’être humain, dans sa complexité. L’élève K. est un symptôme criant d’un mal plus profond : l’école n’a pas encore appris à accueillir la souffrance psychique comme une donnée structurante de certains parcours. On ne peut pas parler de remédiation quand la blessure est toujours ouverte. On ne peut pas orienter un jeune quand tout en lui est désorienté.

Que faire ?

Ce billet n’est pas une demande d’aide. C’est un appel à une lucidité institutionnelle.

Il est urgent :

que les dispositifs d’inclusion prennent en compte les réalités psycho-affectives profondes,

que les parcours alternatifs ne soient pas vécus comme des marges, mais comme des refuges pensés avec soin,

que des passerelles réelles soient construites entre l’Éducation nationale, le médico-social, les associations, les collectivités,

et que la temporalité scolaire cesse d’imposer à des jeunes cabossés des échéances qu’ils ne peuvent pas tenir.

L’absentéisme n’est pas toujours un choix. Le décrochage n’est pas un désengagement volontaire. Parfois, c’est un cri. Il faut apprendre à l’écouter.

Meryam ENNOUAMANE JOUALI 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.