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Meryam ENNOUAMANE JOUALI

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Billet de blog 13 juin 2025

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Quand l’émotion entrave le savoir : l’exemple des élèves en souffrance psychique

Apprendre ne se fait jamais hors sol. Les émotions traversent chaque instant de la vie scolaire, parfois comme moteur, parfois comme frein. À travers le portrait d’un élève en souffrance, ce texte explore l’impact des états émotionnels sur les capacités d’apprentissage, et invite à repenser l’école comme un espace d’écoute autant que de savoir.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Certains élèves ne peuvent accéder aux apprentissages non pas par manque de capacités cognitives, mais parce que leur terrain émotionnel est trop instable pour que l’acte d’apprendre puisse advenir. C’est particulièrement vrai pour les enfants souffrant de troubles psychiques, ou en conflit avec leur propre identité.

Je me souviens de L., un élève accueilli en ITEP. Il avait 11 ans. Dans les papiers administratifs, c’était un garçon. Mais très tôt, il avait ressenti, sans pouvoir le nommer, un profond mal-être lié à son identité de genre. Il se sentait fille, mais vivait dans un corps perçu comme étranger, comme un piège. Emprisonné dans le silence, sans mots pour dire, sans oreille pour entendre.

Son instabilité émotionnelle était constante. Une remarque anodine, un exercice qui résistait, un regard mal interprété… et l’explosion : cris, objets jetés, parfois des insultes, voire des crachats. Puis, après l’orage, le silence. La honte. Il regrettait, sincèrement, mais n’arrivait pas à expliquer ce qu’il avait ressenti. L’émotion restait brute, non traitée, non digérée. Et avec elle, tout accès aux apprentissages était momentanément impossible.

Ce type de profil met en évidence une vérité fondamentale : on n’apprend pas avec son cerveau seul. On apprend avec tout ce que l’on est. Et lorsqu’une émotion forte prend le dessus, le cerveau entre en mode “survie”, non en mode “apprentissage”. Les fonctions exécutives sont suspendues. La mémoire de travail est saturée. La capacité de concentration s’effondre.

Ce n’est qu’en créant un cadre sécurisant émotionnellement, en apprenant aux élèves à identifier et réguler leurs émotions, que l’on peut espérer les remettre en posture d’élève. Pour L., ce fut un travail de longue haleine : passer du passage à l’acte à l’expression, de la violence à la verbalisation. Accepter d’être accueilli tel qu’il est, avant même d’être “corrigé” ou “recadré”.

Cela rappelle à quel point l’enjeu émotionnel est pédagogique. Prendre en compte la souffrance d’un enfant, ce n’est pas s’écarter du programme : c’est lui donner une chance de l’intégrer un jour.

Meryam ENNOUAMANE JOUALI 

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