Meryam ENNOUAMANE JOUALI (avatar)

Meryam ENNOUAMANE JOUALI

Professeure de Lettres HG

Abonné·e de Mediapart

48 Billets

0 Édition

Billet de blog 14 juin 2025

Meryam ENNOUAMANE JOUALI (avatar)

Meryam ENNOUAMANE JOUALI

Professeure de Lettres HG

Abonné·e de Mediapart

L’écriture inclusive, entre panique morale et combat pour l’égalité

« Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) », écrivait Marshall Rosenberg. Ce que nous choisissons de dire – ou de taire – dessine les contours de notre monde.

Meryam ENNOUAMANE JOUALI (avatar)

Meryam ENNOUAMANE JOUALI

Professeure de Lettres HG

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Depuis quelques mois, l’écriture inclusive agite de nouveau le débat public. En octobre 2023, le Sénat a adopté une proposition de loi visant à interdire son usage dans les documents officiels. En décembre, le Conseil d’État a validé les circulaires qui proscrivent le point médian dans l’éducation nationale. Et plus récemment, certaines régions – à l’instar du Grand Est – ont décidé de bannir tout usage de l’écriture dite inclusive dans leurs communications. Il ne s’agit plus d’un simple débat linguistique, mais bien d’un révélateur des tensions profondes qui traversent notre société.

Une crispation révélatrice

Ce qui se joue ici dépasse largement la question grammaticale. L’écriture inclusive est devenue le point focal d’une panique morale, où se cristallisent les peurs de « déconstruction », de « wokisme », ou encore d’atteinte à la langue française, érigée en sanctuaire. Cette défense acharnée d’une « pureté linguistique » cache souvent mal une crispation sur les enjeux de genre et d’égalité.

Car l’écriture inclusive n’a jamais été imposée : elle est expérimentée, discutée, modulée. Elle ne se résume pas au point médian. Elle inclut aussi l’usage de mots épicènes (« les personnes enseignantes »), de doublets (« les lycéennes et lycéens »), de formulations neutres. C’est un laboratoire de réflexion sur la manière dont le langage peut rendre visible ce qui a longtemps été effacé.

La langue évolue. Heureusement.

Opposer l’écriture inclusive à « la langue française » revient à faire fi de l’histoire même de cette langue, en perpétuelle transformation. Le masculin ne s’est pas toujours imposé comme le genre dit « non marqué ». Ce sont des choix politiques et idéologiques, notamment au XVIIe siècle, qui ont consacré la supériorité grammaticale du masculin. Rappelons que l’Académie française – si prompte à défendre la langue « dans sa pureté » – s’est opposée à la féminisation des noms de métiers jusque dans les années 2000. Aujourd’hui, qui s’étonne d’entendre « autrice », « ingénieure », ou « préfète » ?

La langue vit, change, s’adapte. Empêcher l’inclusivité dans l’expression, c’est fossiliser la parole. C’est aussi nier que le langage façonne nos représentations mentales. Dire « les infirmiers » quand 90 % sont des femmes n’est pas neutre. Dire « l’Homme » pour parler de l’humanité entière invisibilise la moitié du genre humain.

Accessibilité contre égalité ?

Les opposants à l’écriture inclusive invoquent souvent l’argument de la lisibilité, notamment pour les publics dyslexiques ou les personnes malvoyantes. Argument légitime. Mais faut-il pour autant interdire toute tentative d’écriture plus inclusive ? Ne peut-on pas explorer d’autres formes que le point médian – formulations neutres, doublets, etc. – qui ne nuisent pas à la lecture ? L’accessibilité ne doit pas devenir un prétexte pour enterrer la visibilité des femmes et des minorités. Elle doit être un pilier complémentaire d’une communication équitable.

Une interdiction autoritaire et contre-productive

Ce qui inquiète dans la loi proposée, c’est moins son efficacité que sa portée symbolique. Que l’État légifère sur les formes d’écriture dans le privé, dans les contrats ou les publications associatives, constitue un précédent dangereux. Cela revient à encadrer la pensée à travers la forme. C’est une tentative d’imposer une norme unique là où la diversité – linguistique comme humaine – devrait primer.

Les institutions gagneraient à accompagner les réflexions linguistiques plutôt qu’à les censurer. Former, sensibiliser, expérimenter : voilà des leviers bien plus puissants que l’interdiction.

Conclusion

L’écriture inclusive n’est pas une menace. Elle est une tentative, imparfaite mais nécessaire, de réparer un silence historique. On peut la critiquer, la nuancer, en débattre. Mais l’interdire, c’est choisir le mur plutôt que la fenêtre. Le conservatisme linguistique ne doit pas prendre le pas sur le progrès social.

Car oui, la langue est politique. Et comme tout outil, elle peut servir à dominer… ou à émanciper.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.