Dans un monde saturé d’informations, où l’algorithme sélectionne à notre place et où les opinions se construisent souvent à coup de slogans, l’école demeure l’un des derniers espaces où l’on apprend à penser librement. Former des citoyens, ce n’est pas les adapter mécaniquement au marché de l’emploi, mais leur transmettre les outils intellectuels du discernement, du doute raisonné et de la nuance. C’est leur permettre de faire usage de leur libre arbitre dans une société complexe, plurielle et parfois brutale.
La pensée critique n’est pas un luxe, c’est une nécessité démocratique
À l’école, développer l’esprit critique, ce n’est pas former des sceptiques cyniques, mais des jeunes capables de comprendre, analyser, argumenter, contredire avec respect et rigueur. Cela implique des savoirs exigeants : lire un texte, y déceler les intentions, comprendre un raisonnement, le déconstruire s’il le faut. Oui, cela passe par des dissertations, des débats, des lectures lentes, des controverses fécondes.
Mais ces apprentissages ne sont pas réservés à une élite. Ils doivent être rendus accessibles à tous, notamment aux élèves allophones, en situation de handicap, ou issus de milieux populaires. Cela suppose une école réellement inclusive, où chaque élève, quel que soit son parcours ou ses fragilités, puisse accéder à ces savoirs libérateurs.
Inclure sans abaisser : viser l’excellence pour tous
L’inclusion ne doit pas rimer avec simplification à outrance, mais avec différenciation pédagogique, bienveillance, patience et créativité. Un élève en situation de handicap peut philosopher, argumenter, penser. Un allophone peut exercer son jugement, même s’il le fait dans une autre langue au départ. La pensée ne se mesure pas au niveau de langue, mais à la profondeur de la réflexion.
Ce travail prend du temps. Il suppose une formation solide des enseignants, un soutien institutionnel, des moyens. Il suppose aussi de reconnaître que l’école n’est pas seulement un lieu d’insertion professionnelle, mais un espace de formation du jugement, de construction de soi, de résistance à l’embrigadement intellectuel.
Liberté de penser vs employabilité : un faux dilemme
Opposer la pensée critique à l’employabilité est une impasse. L’une n’exclut pas l’autre. Dans un monde en perpétuelle mutation, les savoirs adaptables, transférables, les compétences argumentatives, la capacité à coopérer, à remettre en question… sont des atouts pour le travail, autant que pour la citoyenneté. Ce n’est pas en enseignant moins la philosophie, la littérature, l’histoire ou les sciences sociales qu’on prépare mieux les jeunes au futur. C’est en les y reconnectant avec des approches vivantes, contextualisées, exigeantes et inclusives.
En conclusion
Penser, c’est résister. Enseigner la pensée critique, c’est armer les jeunes, tous les jeunes, contre les discours tout faits, les logiques dominantes, les dérives autoritaires. Dans une école inclusive, elle est un levier d’émancipation collective, non un luxe réservé à ceux qui ont déjà les codes. L’enjeu est clair : former des esprits libres, pas des exécutants dociles.
Meryam ENNOUAMANE JOUALI