Quand l’école devient le théâtre d’une violence ordinaire
Chaque semaine, un nouveau drame éclate.
Une adolescente mise au ban de sa classe, un collégien insulté sur les réseaux sociaux, un lycéen poussé au silence jusqu’à l’irréparable. Les visages changent, mais le scénario reste le même. Et la question, lancinante, demeure : que dit le harcèlement scolaire de notre époque ?
Ce n’est plus un fait divers. C’est un symptôme collectif. Celui d’une société où l’humiliation devient un langage, où la fragilité se retourne contre celui qui la porte, où la différence se paie au prix fort.
La violence des pairs : un reflet du malaise social
On parle souvent du harcèlement comme d’un problème “interpersonnel”. C’est plus profond. Le climat scolaire ne naît pas du vide : il se tisse dans un tissu social, économique et culturel. Et ce tissu, aujourd’hui, s’effiloche. Les établissements des quartiers populaires en témoignent : pauvreté, promiscuité, manque de moyens, tensions familiales, insécurité affective... Autant de failles qui fragilisent les jeunes et démultiplient les conduites de domination.
Mais réduire le harcèlement à la pauvreté serait une erreur : les lycées aisés n’en sont pas épargnés. La souffrance traverse les classes sociales : elle change simplement de forme, de décor, de vocabulaire.
Les enfants d’étrangers sont-ils les harceleurs ?
C’est une question que l’on entend parfois, teintée de préjugés et de peur. La réponse est non. Le harcèlement scolaire n’a pas de nationalité, ni de culture. Il traverse toutes les frontières sociales, familiales, ethniques.
Il est vrai que, dans certains contextes, la violence symbolique ou verbale peut s’exprimer davantage dans des milieux fragilisés, où les tensions économiques et identitaires sont fortes. Mais aucune origine ne prédestine à harceler.
Certains jeunes issus de l’immigration se font, au contraire, gardiens de la solidarité parce qu’ils connaissent eux-mêmes l’exclusion. Ce qui engendre le harcèlement, ce ne sont pas les racines d’un élève, mais le déficit d’empathie, la peur de la différence et la recherche de pouvoir.
Harceleurs : bourreaux d’un jour, victimes d’hier ?
Derrière le harceleur, il n’y a pas toujours un “monstre”. Souvent, un enfant en quête de pouvoir, d’attention ou de reconnaissance. Parfois, un être blessé qui rejoue, sans en avoir conscience, les rapports de force vécus à la maison ou dans la rue. La violence qu’il inflige est une tentative d’exister.
Ce n’est pas excuser. C’est comprendre pour mieux agir.
L’école, au lieu de seulement punir, doit apprendre à réparer. Le harceleur aussi a besoin d’être accompagné : pas pour l’absoudre, mais pour le transformer.
Le harcelé : pourquoi lui ?
La victime, souvent, n’a rien “fait”. Elle est juste autre. Plus douce, plus sensible, plus brillante, plus discrète, trop grande, trop petite, trop maigre, trop différente. Le harcèlement naît de cette angoisse de la différence : il vise à normaliser ce qui échappe à la norme du groupe. Le silence des témoins, lui, achève le travail. Le groupe se tait, donc consent.
Que faire, concrètement ?
En tant qu’enseignant :
Créer un climat de sécurité affective. Oser parler du harcèlement avant qu’il ne surgisse. Former les élèves à l’écoute, à l’empathie, à la gestion des émotions. Valoriser la différence, la singularité, l’altérité. Et surtout : écouter les signaux faibles. Un regard fuyant, un élève qui ne rend plus ses devoirs, un autre qui s’isole. Derrière ces signes se cache souvent un appel à l’aide.
En tant que parent :
Observer, questionner sans juger, croire l’enfant. Travailler main dans la main avec l’école, sans chercher d’abord le coupable mais le sens. Aider son enfant à reprendre confiance, à se réancrer dans sa dignité.
En tant que société:
Soutenir les associations de quartier, les centres sociaux, les maisons des jeunes, ces lieux où la parole circule librement et où la réparation devient possible. Former les adultes : enseignants, éducateurs, parents aux compétences psychosociales. Car lutter contre le harcèlement, c’est apprendre à aimer l’autre sans peur.
Le harcèlement scolaire n’est pas une affaire d’école. C’est une affaire de société.
Un miroir qui reflète nos contradictions : notre besoin de performance, notre culte de l’apparence, notre difficulté à accueillir la différence. Chaque fois qu’un enfant est humilié, c’est notre humanité collective qui recule.
Réparer, c’est réapprendre à faire lien
Il faut une révolution douce, éducative, sociale et humaine. Non pas des campagnes ponctuelles, mais un travail de fond : construire une école du lien, pas du tri.
Faire de l’empathie une compétence scolaire. De la parole, une force. Du respect, une valeur vécue.
Parce que le harcèlement n’est pas seulement une blessure de l’enfance : c’est une blessure de société, que seule l’éducation à la bienveillance pourra guérir.
Meryam Ennouamane Jouali