Une réponse différenciée aux profils hétérogènes ?
La logique des cours en barrette repose sur une segmentation des classes en groupes de niveau, souvent présentée comme une modalité de différenciation pédagogique. En lycée professionnel, cette organisation permet théoriquement d’adapter les contenus d’apprentissage à des élèves aux parcours et acquis très divers. Dans les faits, elle repose sur une croyance : celle que des groupes homogènes favoriseraient une progression plus cohérente et des apprentissages mieux ciblés.
Mais cette homogénéité n’est souvent que superficielle, notamment lorsqu’il s’agit de publics spécifiques comme les élèves allophones. Les niveaux linguistiques, les parcours migratoires, les compétences scolaires antérieures ou encore les fragilités psycho-sociales rendent toute standardisation illusoire.
Le cas des élèves allophones : une exception pédagogique marginalisée
Dans notre établissement, un groupe d’élèves allophones est constitué en “barrette” de seconde et de première. En plus des cours disciplinaires différenciés, un accompagnement spécifique est proposé en vue du DELF (Diplôme d’Études en Langue Française). Or, cette structuration pédagogique ne s’inscrit dans aucune progression commune : les collègues gardent à juste titre leur liberté pédagogique, mais au détriment d’un cadre structurant pour les élèves les plus fragiles.
Ainsi, aucun devoir commun n’est proposé. Le suivi est éclaté. L’élève qui “monte” de niveau est souvent perdu : les attendus, les méthodes et les objets d’étude diffèrent d’un enseignant à l’autre, ce qui génère une rupture violente pour des jeunes déjà en difficulté de repères. Cette désorientation est encore plus visible à l’arrivée en terminale, où le dispositif des barrettes disparaît. Plus de FLE, plus d’accompagnement spécifique : les allophones doivent soudain affronter des cours “classiques”, sans filet, ni appui.
Une inclusion conditionnelle et à courte durée
Ce constat soulève une question éthique et pédagogique majeure : à quoi bon porter un dispositif d’accompagnement pendant deux ans si c’est pour l’abandonner l’année du diplôme ? L’absence de continuité pédagogique rend le dispositif inefficace à moyen terme. Elle trahit une vision de l’inclusion comme un sas temporaire, et non comme un engagement à long terme. Elle renforce les inégalités structurelles au lieu de les réduire.
En tant qu’enseignante, ce sentiment de “fausse inclusion” crée un malaise professionnel : celui de porter, malgré les efforts fournis, une part de responsabilité dans l’échec programmé d’élèves que l’institution abandonne en terminale.
Une fausse bonne idée ministérielle ?
Promu par Gabriel Attal dans la logique des “groupes de niveau”, le modèle des cours en barrette semble s’inscrire dans une volonté politique de “remettre à niveau” les élèves. Mais cette logique repose souvent sur une vision descendante et technocratique de la différenciation. Elle oublie l’importance de la continuité pédagogique, du travail d’équipe, de la progressivité des apprentissages et de la sécurité langagière et cognitive.
Pour les élèves les plus fragiles – et notamment les allophones – ce dispositif ne remplit ni une fonction inclusive, ni une mission compensatoire. Il produit au contraire des ruptures, des incohérences, et à terme, des échecs silencieux.
Conclusion : pour une différenciation réellement structurante
Les groupes de niveau ne doivent pas être un cache-misère d’un système en tension. Sans pilotage pédagogique fort, sans projet d’équipe, sans alignement des objectifs et des pratiques, les cours en barrette risquent de faire illusion. Surtout, ils ne doivent pas être l’arbre qui cache l’absence d’une politique linguistique ambitieuse pour les allophones. Il est urgent de penser la continuité pédagogique comme un droit, pas comme une variable d’ajustement.
Meryam ENNOUAMANE JOUALI