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Billet de blog 17 juin 2025

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Pédagogique de l'empathie

« L’intelligence du cœur, c’est celle qui permet de comprendre sans dominer, de corriger sans humilier, d’enseigner sans écraser. »

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Enseigner à des élèves abîmés par la vie

Dans les salles de classe d’aujourd’hui, l’enseignant ne fait plus seulement face à des élèves « en difficulté ». Il accueille des enfants et adolescents fracturés par leur histoire, blessés par la vie, souvent en exil d’eux-mêmes. Ils ne sont pas absents au savoir ; ils sont indisponibles à eux-mêmes. Là où l’école attend une réponse cognitive, eux sont traversés par des tempêtes émotionnelles. Face à cela, une posture pédagogique s’impose : l’empathie, non comme vague bienveillance, mais comme acte professionnel ancré et exigeant.

1. Définir l’empathie : au-delà de la gentillesse

L’empathie n’est pas de l’émotion ; c’est une compétence sociale et professionnelle. Elle implique la capacité de comprendre ce que l’autre vit, sans s’y noyer, ni l’invalider. En pédagogie, cela signifie percevoir les besoins, les blocages, les contextes intimes des élèves – pour mieux ajuster l’enseignement.

Selon Carl Rogers, l’empathie est une des trois conditions fondamentales de la relation d’aide, avec l’authenticité et la considération positive inconditionnelle. Transposée en classe, elle devient un levier puissant : l’élève se sent vu, reconnu, et donc légitimé à apprendre.

2. Une posture, pas une méthode

La pédagogie de l’empathie ne consiste pas à « faire des activités empathiques », mais à adopter une posture relationnelle durable :

Écouter sans chercher à corriger immédiatement,

Accueillir les émotions sans les nier,

Lire les comportements comme des signaux, pas comme des fautes,

Créer un cadre qui sécurise sans écraser.

Cela suppose une maîtrise de soi : ne pas réagir à l’agressivité par une surenchère, ne pas prendre pour soi ce qui relève d’une douleur non formulée. L’enseignant devient un médiateur du réel, un adulte stable qui aide à contenir l’incontenable.

3. Empathie et autorité : un faux paradoxe

Loin de s’opposer, empathie et autorité peuvent cohabiter. L’empathie ne dissout pas les règles ; elle leur donne un sens relationnel. L’élève ne respecte pas seulement parce qu’il craint une sanction, mais parce qu’il se sent respecté. L’autorité s’ancre alors dans la cohérence, la constance et la compréhension, non dans la verticalité ou la menace.

Cette posture évite deux écueils : la rigidité punitive et le laxisme compassionnel. Elle installe une autorité juste, ressentie comme légitime car elle part de l’écoute, pas du contrôle.

 4. Un enjeu majeur dans les contextes de grande vulnérabilité

La pédagogie de l’empathie est particulièrement nécessaire en milieu professionnel, dans les classes d’allophones, ou auprès d’élèves en rupture, suivis pour des troubles psychiques ou issus de parcours migratoires traumatiques. Ces élèves vivent des réalités qui échappent aux logiques classiques de motivation ou de mérite. Ils ne peuvent entrer dans les apprentissages que si un espace relationnel sécurisant est d’abord instauré.

J’ai rencontré ces élèves : Samira, qui ne parlait pas car on l’avait humiliée pour son accent ; Victor, qui se battait car il portait une douleur familiale inavouable ; Leïla, qui fuyait chaque cours car elle avait honte de ne pas savoir lire. Tous m’ont appris qu’enseigner, c’est d’abord comprendre.

5. Des outils, oui, mais surtout une éthique

On peut outiller la pédagogie de l’empathie : cercles de parole, écriture réflexive, médiation, éducation émotionnelle. Mais aucun outil ne remplace la qualité de la présence de l’enseignant. C’est sa posture, sa voix, son regard, son temps donné qui font l’école inclusive.

Loin d’être un supplément d’âme, l’empathie est une stratégie pédagogique exigeante : elle exige de la lucidité, de la clarté sur ses propres limites, de l’humilité. Et elle redonne sens à un métier parfois abîmé par la technocratie ou la solitude.

Conclusion : faire école autrement

Adopter une pédagogie de l’empathie, ce n’est pas nier les savoirs ou les exigences. C’est comprendre que l’accès au savoir passe par un espace relationnel où l’élève se sent digne.

Ce n’est pas faire du social à la place de l’enseignement, mais ne jamais oublier que le savoir ne s’installe que sur un sol humain apaisé.

Dans une école traversée par des inégalités sociales, des tensions identitaires, des fragilités psychiques, l’empathie est une boussole. Elle ne résout pas tout, mais elle donne un cap : celui d’un enseignement plus juste, plus humain, plus durable.

Meryam ENNOUAMANE JOUALI 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.