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Meryam ENNOUAMANE JOUALI

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Billet de blog 17 décembre 2025

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La salle de classe n'est pas un selfie

Préserver la salle de classe : une question d’éthique, de responsabilité et de crédibilité

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Depuis quelque temps, un phénomène prend de l’ampleur sur les réseaux sociaux : des enseignants : du primaire comme du secondaire, se filment dans leur salle de classe. On les voit corriger des copies, montrer leur décor, leurs tenues, leur quotidien, parfois leur beauté, parfois entrain de chanter, parfois entrain de danser, parfois leur intimité professionnelle, le tout sous l’étiquette explicite de professeur ou enseignant de l’Éducation nationale.

Je souhaite ici poser un constat clair, assumé, et profondément réfléchi : cela me dérange.

Non par rejet des réseaux sociaux. Non par opposition à la modernité. Mais par attachement à l’éthique de notre métier, à sa portée symbolique, et à la responsabilité immense qu’il engage.

La salle de classe n’est pas un décor.

Ce n’est pas un fond esthétique.

Ce n'est pas une scène de théâtre. 

Ce n’est pas un studio.

La salle de classe est un lieu de transmission, de vulnérabilité, parfois de réparation, souvent de construction silencieuse. C’est un espace où se jouent des équilibres fragiles : la confiance, l’autorité juste, la légitimité du savoir, la protection des élèves, mais aussi la crédibilité de l’institution que nous incarnons.

Être enseignant, ce n’est pas seulement exercer un métier.
C’est porter une fonction sociale, une parole publique, une image collective.

Lorsque nous nous exposons sous le statut d’enseignante, et plus encore lorsque nous revendiquons l’appartenance à l’Éducation nationale, nous ne parlons jamais uniquement en notre nom. Nous parlons au nom d’un cadre, d’une mission, d’une institution, que nous le voulions ou non.

Dès lors, une question s’impose :
que montrons-nous, et surtout, pourquoi ?

À mes yeux, la réponse est simple et exigeante :
si des vidéos sont réalisées en tant qu’enseignant, elles doivent avoir une visée pédagogique, réflexive ou formatrice.

Partager une pratique de classe réfléchie.
Expliquer une démarche didactique.
Rendre accessible un savoir.
Éclairer les coulisses du métier dans une perspective professionnelle.
Transmettre, toujours.

En revanche, utiliser la salle de classe, ou l’identité professionnelle d’enseignante, comme support d’exposition personnelle, esthétique ou sociale, pose un réel problème de fond. Non pas moral, mais éthique.

Car à force de banaliser l’exposition, on affaiblit le symbole.
À force de confondre visibilité et légitimité, on fragilise la crédibilité.
À force de se mettre en scène, on risque d’effacer la mission.

Nous sommes observés.
Par les élèves.
Par les familles.
Par la société.

Et surtout, nous sommes modèles, parfois malgré nous. Non pas des modèles parfaits, mais des repères. Des figures de sérieux, de rigueur intellectuelle, de retenue aussi. La neutralité, la distance professionnelle, la sobriété ne sont pas des archaïsmes : ce sont des garants de confiance.

Préserver la salle de classe, ce n’est pas refuser la parole.
C’est refuser la confusion.

Préserver notre éthique intellectuelle, ce n’est pas se taire.
C’est choisir le sens plutôt que la mise en scène.

Je ne suis pas contre les enseignants sur les réseaux.
Je suis pour des enseignants conscients de ce qu’ils incarnent.

La pédagogie mérite mieux que le spectacle.
L’école mérite mieux que la mise en vitrine.
Et notre métier mérite d’être défendu avec hauteur, exigence et responsabilité.

Meryam ENNOUAMANE JOUALI 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.