Dans les couloirs de l’école résonnent parfois des silences plus lourds que le bruit : ceux des enfants pauvres. Pauvres de mots, pauvres de repères, pauvres d’espace ou de sécurité. L’inclusion scolaire, telle qu’on la proclame, se heurte à un mur invisible mais massif : celui des pauvretés plurielles. Car la pauvreté ne se résume pas à une question de revenus : elle est aussi culturelle, linguistique, affective, cognitive, institutionnelle.
L’école de la République se veut inclusive, mais elle peine à reconnaître la diversité réelle des vulnérabilités. Certains élèves arrivent sans avoir jamais mis les pieds dans une bibliothèque. D’autres ne comprennent pas les consignes, non par paresse, mais parce que le français de l’école n’est pas le leur. Ils traduisent mentalement, déchiffrent les codes implicites, s’efforcent de comprendre ce qu’on ne leur a jamais appris. Cette pauvreté linguistique, souvent confondue avec un déficit intellectuel, est en réalité le symptôme d’un écart entre deux mondes.
À cela s’ajoute la pauvreté culturelle, qui prive certains enfants des références implicites sur lesquelles s’appuie le système scolaire. Quand on parle de Molière, de mythologie grecque, ou d’Histoire de France, certains élèves se taisent, non parce qu’ils ne s’intéressent pas, mais parce qu’ils ne savent pas comment entrer dans le jeu. Ces savoirs supposés communs ne le sont pas. Ils sont parfois le privilège d’une classe.
La pauvreté affective, elle, se manifeste par des comportements dits « perturbateurs ». Mais comment se concentrer lorsqu’on vit dans un foyer instable ? Comment écouter l’enseignant quand on est inquiet pour sa petite sœur, ou quand on ne sait pas ce qu’on mangera le soir ? L’école ne peut pas tout, mais elle peut voir, comprendre, et ne pas punir ce qui relève d’une souffrance.
Quant à la pauvreté intellectuelle, souvent taboue, elle n’est pas innée. Elle est la conséquence directe d’un manque d’accès à des environnements stimulants. Elle se construit dans la répétition de l’échec, dans l’absence de valorisation, dans le déficit de regards bienveillants. Elle se cristallise quand l’enfant s’entend dire, à mots couverts ou non, qu’il n’est pas capable.
Enfin, il y a une pauvreté institutionnelle : celle d’une école qui ne dispose pas toujours des moyens de faire réellement inclusion. Classes surchargées, manque de formation aux pédagogies différenciées, isolement des enseignants face à des situations complexes, déconnexion entre les textes et les réalités.
Mais ce tableau sombre n’est pas une fatalité. L’école peut être le lieu de la réparation, de la résilience, de la renaissance. À condition d’écouter, d’accueillir, de croire. À condition de former les enseignants à repérer ces pauvretés, de leur donner le temps d’individualiser, de travailler en réseau avec les structures sociales. L’inclusion ne se décrète pas : elle se construit.
Il est temps que l’école reconnaisse que tous les élèves n’ont pas le même point de départ. L’égalité des chances passe par une inégalité des moyens, une intelligence des situations, et une éthique de la justice.
Donner à chacun ce dont il a besoin, ce n’est pas trahir l’idéal républicain : c’est enfin le mettre en œuvre.
Meryam ENNOUAMANE JOUALI