« Il faut tout un village pour éduquer un enfant » dit un proverbe africain. Mais dans nos écoles, combien de visages d’enfants restent en marge du village scolaire ? Combien de souffrances sont tues, niées ou mal comprises faute d’un regard suffisamment humain pour les accueillir ?
Depuis quinze ans, j’enseigne. En maternelle, en lycée professionnel, en SEGPA, en ITEP, en classe relais. J’ai croisé des regards fuyants, des colères étouffées, des silences lourds. Des enfants cabossés par la vie, et des adolescents à fleur de peau. Ce que j’ai appris au fil des années, c’est que l’acte d’enseigner ne se limite jamais à transmettre un savoir : il s'agit avant tout d'entrer en relation, de tisser un lien. Et cela, aucune pédagogie ne peut le faire sans empathie.
L’empathie n’est pas un luxe : c’est un outil pédagogique.
On la confond parfois avec une émotion douce, un supplément d’âme réservé aux « gentils profs ». Grave erreur. L’empathie est une compétence, une posture, un effort. Elle suppose d’écouter au-delà des mots, de lire les silences, de suspendre le jugement. Elle permet de comprendre ce qui se joue derrière une crise, un refus, une absence. Elle rend possible un climat de sécurité, là où l’élève peut apprendre sans peur d’être rabaissé.
Mais l’école, telle qu’elle est pensée aujourd’hui, laisse peu de place à cette écoute. Pression des programmes, surcharge des classes, injonctions à la performance… Le système broie les marges, isole les élèves fragiles, et épuise les enseignants sensibles. Les plus vulnérables s'effacent — et nous ne les voyons plus.
Quand on refuse d’écouter la douleur, elle crie autrement.
J’ai vu des élèves insulter pour éviter d’être humiliés. D'autres fuir les cours pour fuir une classe qui ne les tolère pas. J’ai vu des enseignants en burn-out, non pas à cause de leur métier, mais parce qu’ils avaient trop longtemps nié leurs émotions, trop longtemps contenu la violence qu’ils accueillaient sans accompagnement.
Aujourd’hui, je plaide pour une révolution douce : remettre l’humain au cœur de l’école. Former les enseignants à l’écoute active. Reconnaître la souffrance psychique comme une donnée réelle du monde scolaire. Soutenir les éducateurs comme des soignants d’âme. Promouvoir l’empathie comme un levier d’excellence, pas comme un aveu de faiblesse.
Une école plus juste est une école plus sensible.
Il ne s’agit pas de transformer chaque enseignant en thérapeute, mais de reconnaître que l’apprentissage ne peut se faire sans sécurité émotionnelle. Et que cette sécurité passe par le regard que nous posons sur chaque élève. Un regard qui dit : tu comptes. Je te vois. Tu as ta place ici.
L’école de demain ne sera ni plus numérique, ni plus évaluative. Elle sera plus humaine – ou elle ne sera pas.
Meryam ENNOUAMANE JOUALI