Il existe un mot, presque tabou, que l'on réserve trop souvent aux “cas graves”, aux adolescents qui ne viennent plus en cours, aux jeunes qu’on dit “perdus”. Ce mot, c’est le décrochage. Or, pour qui observe avec attention les visages d’enfants, d’élèves, de jeunes adultes en classe, il devient vite évident : le décrochage scolaire ne commence pas à 15 ans. Il commence bien plus tôt.
Il commence dès la maternelle, quand un enfant ne comprend pas ce qu’on attend de lui, qu’il reste à l’écart dans la cour, que personne ne s’inquiète de son silence. Il se poursuit au primaire, quand un élève ne lève plus la main, baisse les yeux, apprend à se faire oublier. Il prend racine dans l’incompréhension, l’ennui, le manque de sens. Et il fleurit, parfois, dans la résignation.
À force de parler du décrochage comme d’un accident brutal, on nie sa nature lente et insidieuse. On oublie les élèves qui viennent en cours mais n’y sont plus vraiment. Ceux qui “font acte de présence”, ceux qui échouent sans faire de bruit. Le décrochage scolaire est un effacement progressif. Et parfois, il est institutionnalisé.
Dans mon quotidien de professeure en lycée professionnel, je rencontre des jeunes qui, souvent, n’ont jamais vraiment accroché. Parce que l’école ne les a pas compris. Parce qu’ils n’y ont jamais trouvé leur place. Parce que les mots du programme n’avaient pas de sens pour eux, ou parce qu’on ne leur a jamais appris à y croire.
Mais il ne s’agit pas seulement d’élèves en difficulté. On décroche aussi quand on réussit “sur le papier” mais que l’école n’a jamais fait écho à ce qu’on est profondément. On décroche quand l’école parle sans nous écouter. Quand elle évalue sans nous comprendre.
Alors que faire ?
Il faut repenser nos priorités. Revaloriser le lien humain, l’écoute, l’accompagnement, la bienveillance. Faire de l’école un lieu de respiration, pas d’asphyxie. Ne plus attendre que le décrochage soit visible pour réagir. Il faut ouvrir les yeux sur les signaux faibles, dès les premiers pas à l’école.
Parce qu’un enfant qui cesse de rêver est déjà en train de décrocher.
Parce qu’une élève qui ne se sent jamais légitime est déjà en train de partir.
Et parce qu’aucun enfant, à aucun âge, ne devrait avoir l’impression qu’il n’a rien à faire à l’école.