Aujourd’hui, 20 octobre, le monde consacre une journée à la douleur. C’est un paradoxe en soi : célébrer ce que l’on cache, nommer ce que l’on tait. Car la douleur n’a pas de visage. Elle s’installe, elle creuse, elle consume, et pourtant, nous continuons de sourire, de parler, d’enseigner, de vivre.
Je suis enseignante. Chaque matin, je me tiens devant mes élèves. Je leur parle avec conviction, je les écoute avec tendresse, je corrige, je conseille, je ris même parfois. Et pourtant, à l’intérieur, il y a cette douleur, une douleur sans mots, sans contours, sans fin. Cette douleur-là est née du plus grand des silences : la mort subite de mon enfant.
Un jour, tout s’est effondré, et le monde a cessé d’avoir du sens. Il y a des douleurs qui ne passent pas. Elles ne s’apaisent pas avec le temps ; elles s’installent, elles cohabitent avec la vie, elles respirent à travers nous.
Je suis retournée travailler, comme si de rien n’était. J’ai repris mes cours, mes élèves, mes sourires. Mais à l’intérieur, tout bouillonnait, le déni, le deuil, la révolte, l’incompréhension.
Et pourtant, il fallait tenir. Maquiller le visage, ajuster la voix, et faire comme si.
Ce “comme si” est parfois la forme la plus noble du courage. Il ne s’agit pas de mentir, mais de résister. Résister à l’effondrement, pour ceux qui nous regardent, pour ceux qui apprennent à espérer à travers nous.
Je me suis souvent demandé d’où venait cette force. Peut-être de l’amour, ce lien invisible qui ne meurt jamais, même quand le corps s’éteint. Car dans la douleur la plus noire, il reste une étincelle : celle du don de soi.
La douleur prend mille visages. Les douleurs physiques, que la médecine tente de soigner. Les douleurs psychiques, que la société préfère ignorer. Les douleurs morales, que l’on cache par pudeur.
Et puis celles, indicibles, qui transpercent le cœur et que rien ne console.
Elles ne se voient pas, mais elles façonnent nos gestes, nos silences, nos mots. Elles font de nous des survivants du quotidien. Et si la douleur était aussi une manière d’éprouver la vie ? Elle nous apprend la lenteur, la profondeur, la compassion. Elle nous oblige à regarder les autres autrement, à écouter ce qui ne se dit pas. Dans chaque mot adressé à mes élèves, il y a un peu de cette douleur transformée en lumière. C’est elle qui me rappelle que chaque présence compte, que chaque sourire offert est un acte de résistance contre l’oubli.
En ce 20 octobre, je ne veux pas qu’on célèbre la douleur. Je veux qu’on célèbre ceux qui vivent avec elle.
Ceux qui continuent à aimer, à créer, à enseigner, à soigner, à espérer, tout en portant une cicatrice invisible.
Car c’est là, dans cette tension entre la souffrance et la vie, que réside la plus haute humanité. Reconnaître la douleur, c’est reconnaître la dignité de ceux qui ne plient pas.
C’est dire enfin : nous vous voyons.
Meryam Ennouamane Jouali
Enseignante et autrice.