Je suis professeure. Je suis aussi coordonnatrice d’un dispositif d’accompagnement pour des élèves en grande difficulté. Je les vois au quotidien, ces jeunes qui oscillent entre le décrochage et le courage de rester. Et je les écoute surtout, quand ils viennent me parler de ce qui les blesse, les enferme, les décourage. Parmi ces blessures scolaires, une revient souvent : le 0/20.
Je vois des élèves trembler à l’idée de prendre la parole devant la classe. Ils me confient leur peur, leur honte, leur sentiment d’être exposés, jugés. Ils n’osent pas affronter les regards, pas encore. Certains se battent contre l’anxiété sociale, d’autres traînent les stigmates d’un passé scolaire douloureux. Et quand, paralysés, ils ne parviennent pas à passer à l’oral, ils se prennent un zéro.
Un zéro sanction. Un zéro couperet. Un zéro qui dit : “tu n’as rien fait”, alors même qu’ils ont fait l’effort d’être là, de ne pas fuir, de tenir bon malgré la peur.
Et moi, je me retrouve à les consoler, à leur expliquer que je comprends, tout en sachant que je ne peux pas contester frontalement la décision du collègue. Je suis prise entre la légitimité du professeur – qui suit un barème, une grille, une règle – et la détresse de l’élève, que je connais, que je porte, que j’essaie de maintenir debout.
Cette note, le 0/20, devient alors un outil de pouvoir, une sentence qui ne laisse aucune place à la complexité humaine. Elle ne tient compte ni du chemin, ni des efforts invisibles, ni du courage qu’il faut pour simplement rester assis en classe quand on voudrait s’enfuir.
Dans notre métier, il nous arrive de dire que l’évaluation doit être bienveillante, formative, au service des apprentissages. Mais le 0/20, lui, n’apprend rien. Il blâme, il fige, il brise.
Refuser de mettre 0, ce n’est pas céder. C’est reconnaître que l’échec d’un jour n’est pas l’échec d’une vie. C’est faire le choix d’une pédagogie qui relève plutôt que d’une évaluation qui condamne.
Je ne juge pas mes collègues. Je sais qu’ils ont leurs contraintes, leurs exigences, leurs frustrations aussi. Mais je plaide pour une école qui n’ait pas besoin d’humilier pour enseigner. Une école qui sache entendre les silences des élèves comme des appels à l’aide, pas comme des preuves d’indifférence ou d’irrespect.
Je continuerai à défendre mes élèves, à leur tendre la main, à leur dire qu’un zéro ne les définit pas. Mais j’espère qu’un jour, nous serons plus nombreux à remettre en question cette note vide de sens – et pleine de conséquences.
Parce qu’en vérité, le 0/20 ne mesure pas le savoir. Il mesure notre incapacité à évaluer autrement.
Meryam ENNOUAMANE JOUALI