Meryam ENNOUAMANE JOUALI (avatar)

Meryam ENNOUAMANE JOUALI

Professeure de Lettres HG

Abonné·e de Mediapart

50 Billets

0 Édition

Billet de blog 22 mai 2025

Meryam ENNOUAMANE JOUALI (avatar)

Meryam ENNOUAMANE JOUALI

Professeure de Lettres HG

Abonné·e de Mediapart

Repenser l’école : une urgence pédagogique et démocratique

L’école ne peut plus se contenter d’ajustements. Face aux inégalités et à la diversité des parcours, il devient urgent de repenser ses fondements et ses pratiques.

Meryam ENNOUAMANE JOUALI (avatar)

Meryam ENNOUAMANE JOUALI

Professeure de Lettres HG

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« L’école est en crise ». L’expression revient comme un leitmotiv, à chaque rentrée, chaque réforme, chaque enquête internationale. Mais que recouvre réellement ce mot de "crise" ? En tant qu’enseignante en lycée professionnel, coordonnatrice de dispositifs inclusifs et ancienne professeure en SEGPA, en ULIS, en ITEP ou en classe relais, je vis cette crise de l’intérieur. Elle n’est pas seulement budgétaire ou organisationnelle : elle est existentielle.

L’école d’aujourd’hui ne parle plus à tous ses élèves. Elle fonctionne selon des logiques d’exclusion silencieuse, souvent invisibles, rarement reconnues. Et pourtant, dans les marges du système, s’écrit chaque jour une pédagogie de la résistance, faite d’attention, de bricolage, d’audace. Je travaille avec des élèves allophones, des jeunes en grande précarité, parfois marqués par des parcours d’exil, de ruptures ou de décrochages. Leur présence interroge l’universalité de notre école. Elle appelle une refondation.

Des élèves absents des cadres normés

La norme implicite de l’élève francophone, sédentaire, maîtrisant les codes scolaires, reste dominante. Tout écart est perçu comme un manque, une lacune, rarement comme une richesse ou un point de départ. On parle d’inclusion, mais dans des cadres conçus sans ceux qu’il faudrait inclure. Ce paradoxe se vit cruellement dans le quotidien de la classe : comment évaluer équitablement un élève qui découvre la langue, les codes sociaux et l’écrit académique tout à la fois ? Comment faire tenir dans un emploi du temps figé une pédagogie différenciée, humaine, individualisée ?

Des enseignants à bout de souffle

Les enseignants ne manquent pas de bonne volonté. Mais ils manquent de temps, de formation, de reconnaissance. L’injonction à faire toujours plus, à innover tout en respectant des programmes toujours plus denses, crée une tension permanente. Et pourtant, l’école ne changera pas sans eux. Ce sont les collectifs pédagogiques qui expérimentent, qui osent des pratiques émancipatrices, qui redonnent du sens là où il n’y a plus que des objectifs. « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles », écrivait Sénèque. Peut-être faut-il oser désapprendre l’école telle qu’elle a été conçue, pour mieux la réinventer.

Donner une place à chaque voix

Repenser l’école, c’est d’abord écouter. Écouter les élèves qui ne s’y reconnaissent pas. Écouter les parents dont les savoirs sont déconsidérés. Écouter les collègues qui inventent au quotidien des manières d’enseigner qui n’entrent dans aucune case. L’inclusion n’est pas une politique d’ajustement : c’est une éthique. Elle suppose de déplacer le centre, d’accepter de douter, de co-construire.

Les projets pédagogiques que j’ai pu mener autour du débat citoyen, de l’écriture poétique, de la pédagogie du détour, ou des compétences psychosociales montrent qu’un autre rapport au savoir est possible. Un rapport sensible, contextualisé, réflexif. Mes élèves, pourtant réputés "fragiles", deviennent acteurs, médiateurs, tuteurs. Ils se découvrent capables, visibles, pensants. Le système, lui, continue trop souvent de les classer en "niveaux".

Changer de regard pour changer d’école

On ne réformera pas l’école sans en changer le regard. Le regard porté sur les élèves, sur les disciplines, sur l’évaluation, sur le rôle même de l’enseignant. Repenser l’école, c’est accepter qu’elle n’a jamais été neutre ni immobile. C’est reconnaître les violences symboliques qu’elle peut générer, mais aussi les immenses possibilités qu’elle recèle. C’est oser une pédagogie du lien, du soin, de la justice.

Dans mon expérience, l’espoir renaît dès lors qu’on accorde à chacun une place véritable. Pas une place d’ajustement, mais une place de sujet. Alors seulement, l’école pourra redevenir ce qu’elle promet d’être : un lieu de tous les possibles.

Meryam ENNOUAMANE JOUALI 

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.