On les imagine souvent comme des figures d’autorité retranchées derrière leur bureau, déconnectées du terrain, coupées de la réalité des classes. Pourtant, derrière chaque emploi du temps ajusté dans l’urgence, chaque affectation d’élève problématique, chaque réunion de crise ou chaque arbitrage délicat, il y a des femmes et des hommes qui tiennent debout un système fragilisé. Chefs d’établissement, proviseurs adjoints, conseillers principaux d’éducation (CPE), ils travaillent dans l’ombre, souvent sans reconnaissance, parfois sans relais.
Il faut le dire clairement : les décisions prises dans les bureaux de direction ou au cœur de la vie scolaire ne sont jamais neutres, jamais anodines. Elles engagent des trajectoires de vie. Elles tiennent compte de paramètres humains, sociaux, budgétaires, institutionnels, et souvent, elles sont prises dans l’urgence, avec une pression administrative étouffante et des marges de manœuvre de plus en plus étroites.
On oublie trop souvent que le binôme direction–CPE est le premier garant de l’inclusion, de la sécurité, de l’équilibre quotidien dans un établissement scolaire. Lorsqu’un élève décroche, lorsqu’une famille explose, lorsqu’un enseignant s’effondre, c’est vers eux – vers ce noyau discret mais essentiel – que l’on se tourne. Il faut alors réagir vite, en tentant toujours de rester juste, humain, protecteur, sans jamais céder au cynisme ni à l’indifférence.
Le rôle du CPE, pourtant si central, est encore trop méconnu. Médiateur, régulateur, facilitateur de liens entre les élèves, les familles, les enseignants, les partenaires extérieurs... il est en première ligne sur le terrain des tensions, des conflits, des urgences sociales et éducatives. Il repère l’absentéisme avant qu’il ne devienne décrochage, désamorce une crise avant qu’elle ne devienne violence, entend les souffrances muettes que les bulletins ne disent pas. Son bureau est souvent le refuge, l'antichambre des détresses adolescentes.
Dans les coulisses du système éducatif, ces décideurs sont des artisans de l’équilibre. Ils jonglent avec des textes officiels qui ne prennent pas toujours la mesure des réalités du terrain. Ils reçoivent des familles en détresse, organisent des conseils éducatifs douloureux, accueillent des élèves sans papiers ou sans domicile, arbitrent des conflits entre adultes. Ils lisent entre les lignes des bulletins, tentent de comprendre les non-dits des dossiers sociaux, et cherchent toujours, oui, toujours, à mettre l’élève au centre.
Mais combien d’enseignants savent vraiment ce qu’il se passe de l’autre côté du rideau ? Combien mesurent les tensions, les dilemmes éthiques, les responsabilités juridiques que cela implique ? Trop souvent, la direction et la vie scolaire sont perçues comme des entités à part, alors qu’elles forment le socle du bon fonctionnement de l’établissement. Ce fossé est regrettable. Il empêche la confiance, la coopération, la compréhension mutuelle.
Il ne s’agit pas de sanctuariser les fonctions. Il s’agit de reconnaître la complexité des rôles, d’encourager le dialogue entre enseignants, CPE et directions, et de valoriser ces efforts invisibles qui permettent à l’école de rester, malgré tout, un lieu d’accueil, d’apprentissage et d’espoir. Dans un contexte d’épuisement généralisé du service public, il est urgent de réhabiliter le travail de celles et ceux qui, dans l’ombre, prennent chaque jour des décisions complexes pour maintenir le cap. Non, ils ne sont pas déconnectés. Ils sont souvent au plus proche du réel. Et leur boussole, quoi qu’on en pense, reste bien souvent la même que celle des enseignants : le bien de l’élève.