La question revient à chaque canicule, chaque rentrée anticipée, chaque débat sur les résultats scolaires ou les inégalités : faut-il raccourcir les congés scolaires pour améliorer les apprentissages ? La tentation est grande pour les responsables politiques de faire des vacances une variable d’ajustement. Mais derrière les discours d’efficacité se cache une vision étroite de l’éducation, déconnectée des réalités sociales, des besoins des enfants, et des apports des neurosciences.
L’illusion d’un lien entre vacances et échec scolaire
Ceux qui prônent un raccourcissement des vacances – notamment estivales – brandissent des chiffres sur le "décrochage" estival des élèves les plus fragiles. Il est vrai que les inégalités scolaires se creusent durant les longues périodes sans école. Mais faut-il en conclure que moins de vacances = plus de réussite ? Rien n’est moins sûr.
Les études sur l’effet des vacances sur les apprentissages (notamment celles de Harris Cooper aux États-Unis) montrent un effet de régression pour les élèves défavorisés... mais cet effet n’est pas compensé par une année plus longue si les conditions d’apprentissage restent les mêmes. En d'autres termes, ce n’est pas la durée de l'école qui compte, mais ce qu’on y fait.
Les enfants ne sont pas des machines
Raccourcir les congés sans repenser les contenus et les méthodes d’enseignement reviendrait à prolonger l’épuisement plutôt que de soigner ses causes. Les enfants – et les enseignants – ont besoin de repos pour assimiler, rêver, expérimenter, grandir autrement. Les neurosciences cognitives rappellent le rôle essentiel du sommeil, du jeu libre, et de la pause dans la consolidation des savoirs. La récupération n’est pas un luxe : elle est une condition d’apprentissage.
D’ailleurs, dans plusieurs pays européens (Finlande, Pays-Bas, Allemagne), les vacances sont longues… et les résultats scolaires bien meilleurs que ceux de la France. Le problème n’est pas la quantité de jours d’école, mais l’organisation du temps scolaire, la pédagogie, l’investissement social et humain.
L’école ne peut pas tout réparer seule
Raccourcir les vacances pour "lutter contre les inégalités" est un slogan commode. Mais c’est à la fois hypocrite et cruel. Car cela revient à demander à l’école de compenser ce que les politiques sociales n’assurent plus : un accès équitable aux loisirs, à la culture, à la santé mentale, à la sécurité affective.
Quand des enfants reviennent à l’école le ventre vide, qu’ils vivent dans des logements insalubres ou traversent des violences systémiques, le problème n’est pas la durée de leurs vacances, mais la pauvreté dans laquelle ils les vivent. Le vrai enjeu est là : assurer à tous les enfants des vacances dignes, éducatives, réparatrices. Et non les leur supprimer.
Des alternatives intelligentes existent
Au lieu de rogner sur les congés, pourquoi ne pas investir dans :
des colos éducatives accessibles à tous ;
des centres de loisirs renforcés dans les zones rurales ou populaires ;
des programmes d’été inspirants, qui mêlent découverte, créativité et rattrapage scolaire sans stigmatisation ;
le rythme 7-2, testé dans plusieurs régions, alternant 7 semaines de classe et 2 de repos, qui respecte mieux les rythmes biologiques.
Il ne s’agit pas de sacraliser les vacances, mais de les réinventer, en phase avec les besoins du XXIe siècle. Et surtout, de faire confiance aux professionnels de l’éducation, aux chercheurs, aux familles… plutôt qu’à une logique comptable.
Une école juste ne se construit pas à coups de suppressions
Raccourcir les congés scolaires pour "gagner en efficacité" est un leurre. C’est faire porter à l’école la charge de toutes les fractures sociales. C’est ignorer que l’éducation est un processus global, qui dépasse les murs de la classe.
Vouloir réduire le temps de respiration des enfants, c’est méconnaître leur humanité.
Et si, au lieu de raccourcir les vacances, on allongeait l’ambition ?
Meryam ENNOUAMANE JOUALI