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Billet de blog 24 décembre 2015

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Je nous croyais indivisible

Ma très chère France. Je lis ces derniers temps, à la faveur des élections, aux mauvais jours d'un attentat, que tu préfères baisser les yeux, que tu préfères te déchirer, que tu reviens sur tes principes, tes fiertés, nos promesses. Je vois de longs discours de haine. Je vois des renoncements.

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Ma très chère France,

Je lis ces derniers temps, à la faveur des élections, aux mauvais jours d'un attentat, que tu préfères baisser les yeux, que tu préfères te déchirer, que tu reviens sur tes principes, tes fiertés, nos promesses. Je vois de longs discours de haine. Je vois des renoncements. Je vois nos libertés disparaître peu à peu, placées sous une autorité absurde qui ne ramènera personne, qui n'en sauvera pas d'avantage: tu n’arrêteras pas ceux que tu as déjà perdu. Tu nous presses aujourd'hui dans une violence diffuse, insidieuse, où pour ne plus chercher les causes de nos errances, ou pour ne pas vouloir rattraper ceux qui peuvent l'être encore, tu t'en remets aux voix des charognards, à l'opportunisme de gagner les faveurs des plus fragiles en leur promettant l'impensable, en leur donnant des pendaisons à défaut d'une explication. Là ou autrefois tu érigeais des ponts, ou tu promettais l'espoir, tu as construit des murs, des peurs.

J'entends, dans les déclaration de ceux censés te protéger, que certains d'entre nous, nés ici, pourraient voir leur appartenance à nos couleurs remise en cause pour avoir attenté à ton image. D'autres, nés ici également, seraient toujours Français, toujours, même après l'infamie. J'avais lu, il y a quelques années, les mêmes idées ou presque, dans les discours crasseux de ceux qui pensent que « l'autre » ne sera jamais comme « nous ». Alors je te demande chère France, qui sommes-nous, qui sont ces autres ? Sommes-nous de ceux qui abandonnent ? Ou ceux qui n'assument pas ? Ceux qui sont nés ici et qui un jour auront tenté de t'affaiblir par les armes, sont-ils si différents de ceux qui tentent de t'épuiser avec des lois qui à défaut d'unir, nous divise, nous efface ? Je ne crois pas, chère toi, que celui qui raye de son histoire une erreur, une défaite ou un individu, gagne en sécurité ou en autorité. Si tu supprimes le nom de ceux que tu as mal protégé, crois moi, tu t'affaiblis.

J'ai grandi avec l'école de la république. Et je la défends encore, en dépit des « mais » que j'évoquais plus haut. Il n'y a pas si longtemps, mes professeurs parlaient de toi avec des mots que je ne comprenais pas vraiment, mais qui je crois, je sais, ont un sens. On me parlait de rayonnement, on me parlait de lumière. De ce pays qui était l'exemple, qui réfléchissait sur son sort, sur son sang, sur la place de l'individu, sur l'importance de la liberté, de l'égalité, de la fraternité. On me parlait de « droits de l'homme ». Oui, il y avait des ficelles, et a y regarder plus près, on pouvait y voir quelques blessures. Mais l'idée était là. Et l'idée s'était répandu au-delà de cette nation. Dans cette France qui rayonne, on évoquait de grandes batailles pour éviter de séparer les gens en fonction de leur croyance, de leur religion, de leur couleur, de leur appartenance à un courant, à une idée, en raison de leur mode de vie, ou de leur sexe.  On parlait de justice, d'égalité devant la loi. Tout citoyens Français sera traité de la même façon, quel que soit son rang, sa richesse, son éducation, son origine. Et on parlait aussi d’élévation, du nivellement par le haut, de donner une chance à chacun. L'école de la république, laïc, gratuite, était le commencement d'un tout. Premier rouage d'une société qui allait tenter d'équilibrer les chances entre ceux qui sont nés de parents qui ont tout, et ceux qui sont nés avec presque rien. Avec ces mêmes droits, pour tous, on allait construire des générations libres de leur destin, cultivées, avec une soif d'apprendre, et la capacité de réfléchir, sur eux, sur l'humain, sur le sens de toute vie, sur le monde. Des générations qui allaient en inspirer d'autres. Mais tu sais chère France, nul n'est infaillible. Et si tu t'es donnée il fut un temps un engagement de moyen, on ne peut t'en vouloir d'avoir rater parfois. A condition de t'interroger toujours, toujours, sur tes échecs.

Ces gens que tu stigmatises aujourd'hui, nés sur ton territoire, ont donc pour la plupart été nourri de ces valeurs, de ton école, de ton système sociale. Et certains s'en sont violemment détournés, jusqu'à te détester. Alors tu souhaites les effacer. Leur retirer cette appartenance, comme s'il s'agissait d'une faveur que tu leurs avait faite pour un temps limité. Et ça je ne peux pas l'accepter. Tu as le devoir de t'affranchir de cette facilité, puisque tu es responsable aussi, même si ça te froisse, de leur colère, de leur folie. Quelque part dans ton système, tu n'as pas réussi à élever tout le monde, à te faire comprendre, à honorer tes promesses. Tu n'as pas réussi à te faire apprécier. Si tu es fière de ce que tu es, de ce que tu représentes, et que tu souhaites à nouveau éveiller l'envie de rassembler derrière ton nom, tu ne peux pas te défausser dès lors qu'on viendra remettre en cause tes idéaux, que ce soit par les mots ou par les armes. Et si la trahison vient de tes propre enfants, tu devras l'accepter, et te remettre en cause, avant de renoncer à eux. Chère France, au lieu de les rayer de tes archives, pose toi les bonnes questions. Je ne te demande même pas de leur pardonner. Je te demande de t'interroger, et voir si demain, plus tard, tu aurais pu faire mieux. T'élever encore. Certains te diront que la nation ne peut pas tout, et que l'individu aussi, à des devoirs. Et tu auras raison. Mais je n'ai jamais vu un enfant naître avec l'envie de te punir. J'ai par contre aperçu des enfants sans racine. Des enfants sans repère. Alors ne lui soumet pas l'idée que lorsqu'il fait partie de ta famille, il peut s'en retrouver exclue. Jamais.

Chère France. Je te parle, et je sais que tu n'écouteras pas vraiment. Dans les prochains jours, tu vas encore perdre un peu de ta superbe. Tu vas tenter de justifier l'atteinte à de lointains idéaux en te cachant derrière ce que tu nommes « l'état d'urgence ». Un ennemi sans visage qui serait sur le point de nous décimer un à un. La nation en péril face à seulement quelques individus. Même si un mort est un mort de trop, j'ai dans l'idée que s'en servir pour créer deux catégories de français, les irrévocables et les autres, les absolues et les relatifs, n'est une réponse à rien, et plus certainement une porte à ne jamais entre-ouvrir. Je nous croyais indivisible. Je te croyais garante de cette idée.

Je sais qu'il y a encore de belles choses sous nos cieux, que tu as encore de beaux restes. Mais globalement, une chose est sûre : par rapport à la génération précédente, la mienne est désormais désabusée. Elle ne croit plus en toi aussi clairement, elle n'imagine plus un monde meilleur grâce à tes philosophes, elle ne te voit pas avancer vers le progrès, elle ne te voit pas œuvrer pour le bien général, elle ne te voit plus rayonner, elle ne sait plus qui sont tes grands penseurs, elle ne voit pas de grands élus, elle ne voit pas de grandes espérances, elle se replie sur elle même peu à peu, ne vote plus jamais pour quelqu'un, mais toujours contre un autre, elle s'immobilise au lieu de s'avancer. Je crois que ma génération n'est plus vraiment fière de toi. Elle est encore souvent heureuse d’être ici, parce qu’honnêtement, c'est loin d'être merveilleux ailleurs, mais tu sais, on ne pavoise plus devant nos reculades, devant le bas spectacle que tu nous offres à l'assemblée, au sénat, dans les médias. Ailleurs déjà, ton nom se fait railler. Qui autrefois aurait osé ? Et celui qui te parle fait partie des chanceux, de ceux qui s'en sortent pas trop mal, et qui ne te déteste pas vraiment.

Ma très chère France, quand une génération entière s’émerveille encore sur ce qui a été, mais plus sur ce qui est, et encore moins sur ce qui pourrait être, il est certainement temps de nous interroger sur les raisons de notre désamour. Et cette idée d'avoir des Français « moins Français » que les autres, non seulement nous ramène à des heures bien sombres que je ne veux pas connaître, mais joue très certainement dans le mal qui ronge ta société, ton peuple, tes enfants. Ce mal que tu crois combattre en pratiquant la saignée. J'espère sincèrement que d'ici quelques jours tu reprendras raison, et que ma nationalité ne vaudra pas plus cher que celle de mon voisin, lui aussi né en France, mais peut-être également depuis amoureux d'une autre terre, ou de la terre de celle qu'il aime.

Ne renonce pas à tout. Ne sombre pas à la facilité en utilisant la force avant l'éducation, les réponses courtes face aux défits plus grands. Ne t'enfonce pas dans la démagogie. Ne renonce pas à nous.

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