Ma très chère France,
Encore une fois, nous nous retrouvons les uns contre les autres, et c’est à qui pourra cracher le plus loin, lequel pourra crier le plus fort. Ici et là, nous nous entendons dire qu’il faut, qu’on doit, qu’on ne peut pas, qu’il n’est pas pensable que, qu’il est inimaginable pour un bon citoyen de droite, de gauche ou de je ne sais quelle longitude, de ne pas faire le choix du moindre mal contre l’horreur. J’entends, j’entends ces arguments, je les entends trop bien.
Légers ou graves, tous me rappelle ma première élection, qui m’a offert le droit déjà, de réfléchir à cette question. Nous étions en 2002, j’avais 20 ans et des brouettes, je me suis déplacé. Dans la rue et dans les urnes. J’ai été soulagé du résultat. J’avais fais mon devoir, j’avais apporté mon opposition au pire, comme nous y avions été invité, ou tout simplement comme nous l’avions décidé, seul, en notre âme et conscience. Le peuple, par lui et pour lui, avait donc pris ses responsabilités. La classe politique d’alors, unanime, nous avait dit qu’il fallait y aller, que le Président ferait l’union, que les députés, les sénateurs, les ministres, les dirigeants de tout ce qu’on appelait alors le front républicain, allaient travailler ensemble à ce que ce jour ne survienne plus jamais. Qu’ils allaient à leur tour, prendre leur responsabilité. Il y avait eu le 21 avril, et il n’y en aurait pas d’autre. Votez utile qu’on disait. Et nous l’avions fait, à 80 %.
Il s’est donc passé 15 ans. Et presque les mêmes qu’hier, se retrouvent aujourd’hui à la télé, à la radio, dans la presse, à nous redemander la même chose. Avec les mêmes mots, avec les mêmes cibles. Presque les mêmes qu’hier, viennent me dire que s’abstenir, c’est faire le jeu du FN, c’est risquer la destruction de tout, des Lumières, de Marianne, de l’honneur d’une nation, de notre honneur individuelle. Si je n’y vais pas, si Marine passe, ce sera ma faute. Oui ma faute.
Ce ne sera donc pas la faute de ceux qui vont mettre un bulletin pour elle, par conviction. Ce ne sera donc pas la faute de ceux qui vont mettre un bulletin pour elle, par lassitude. Ce ne sera donc pas la faute de ceux qui vont mettre un bulletin pour elle, par peur ou par colère. Ce sera encore moins la faute de ceux qui étaient déjà là en 2002, et qui ont fait en sorte, en ne faisant rien, que toutes ces personnes cités un peu plus haut, se retrouvent encore aujourd’hui, ou peut-être pour la première fois, avec l’envie de prendre son bulletin à elle, et non à l’autre.
Non, ce sera ma faute, point.
Ma très chère France, je m’oppose pourtant chaque jour à Marine le Pen, à son père avant elle, à tous ceux qui exposent les mêmes théories. Je m’oppose chaque jour à tous ceux qui naviguent dans cette idée que l’Autre, que l’Origine de l’Autre, est le problème. Je m’y oppose dans les idées, dans les propos, dans mon attitude, dans mes tentatives d’éclairages avec ceux qui sont tentés par l’obscurité. Je m’y suis opposé dans les urnes, déjà, plusieurs fois. Je pense pouvoir me regarder en face.
Alors oui chère France, il serait facile de prendre quelques minutes encore, glisser une enveloppe avec un nom qui voudrait dire « Non ». Et ce serait moins pire. Sûrement. Évidemment.
Seulement j’ai décidé, seul, sans avoir besoin des consignes de l’un ou de l’autre (mais qui en a vraiment besoin?), que je voulais désormais participer à la vie politique du Pays, et non pas à la vie politique du moins pire. Renier ses propres convictions, je l’ai déjà fais, par peur du lendemain, il y a 15 ans. Et le message n’a pas été entendu. Je pourrai voter blanc, mais puisqu’il a été décidé que ce bulletin n’a aucun poids dans le système électorale, c’est n’est pas une option. Ce serait vide de sens, puisque vide de statistique, vide de conséquence. Une sorte de coquille vide, artefact d’un troisième choix qui ne sera jamais contraignant pour les 2 autres. Bref, sans intérêt, une abstention qu’on évoque pas. Surtout qu’il y a plus grave.
Mesdames et Messieurs les politiques, qui ne lirez sûrement pas ces prochains paragraphes, il est triste de voir que vous n’avez pas su prédire ce jour. Si vous passez par là, lisez à voix haute, fort, relisez encore si besoin, et peut-être que vous aurez vos réponses.
Pour la France, pour mon pays, pour l’avenir, pour tout un tas de raisons louables, j’ai renié (avec d’autres) qui j’étais. J’ai ravalé ce jour là, il y a 15 ans, mon égo et ma jeune soif d’intransigeance. J’ai décidé d’aller contre mon idéal d’alors en m’opposant à celui qui représentait la peur et l’extrémisme, l’exacte opposé d’un monde juste et égalitaire. Lui, c’était la xénophobie, l’autre, un opposant comme il y en a tant. J’ai choisi ce jour là de donner ma voix, à cet autre, qui ne me représentait pas vraiment, à qui je ne voulais pas confier le pouvoir 15 jours plus tôt, pour quelque chose de plus fort. J’ai renié une part de moi, dans l’espoir que « Liberté Égalité Fraternité », soit encore ma devise le lendemain d’une élection abominable. J’ai renié une part de moi, pour cette idée qui est évidemment plus grande et plus large que mon orientation politique personnelle. J’ai renié cette part de moi, sans sourire, sans fierté, sans triomphalisme. C’était peut-être sage, mais j’ai voté contre moi-même, je vous ai donné mon vote, ma voix, un mandat, et vous avez marché dessus. Vous n’avez rien fait. Vous n’avez même pas essayer.
La somme de ces petites parts, l’absence de réaction depuis, peuple oublié de 2002, peuple volé de 2005, et ces derniers jours le droit de parole de mis en examens, des ceux qui sont tellement fière d’être à 1 ou 2 point de l’extrême droite qu’ils vont danser devant les caméras, les égos démesurés de ceux qui préfèrent perdre dans leur coin plutôt que de gagner ensemble, bref tous ces idéaux volés par des gens qui pensent à eux d’abord et nous en dernier, et qui un jour viennent nous voir en nous implorant de penser plus grand, en s’indignant d’un manque de « conscience », pèsent lourd dans nos choix, dans ce qui nous arrive, dans ce qui vous arrive.
Mon abstention le 7 Mai prochain, et celle de tout un tas d’autres, ne viendra pas d’un je-m-en-foutisme contagieux, ou d’une partie de poker risquée avec le diable. Elle ne viendra pas non plus d’un manque d’engagement politique, ou d’une absence de réalisme face à la situation. Les non-votants, tout comme les électeurs, ne sont pas tous des abrutis finis qui ne réfléchissent pas avant d’agir, ou de rester chez eux. Non, pas tous. Le 7 Mai, l’abstention proviendra de gens qui savent très bien que Marine le Pen est statistiquement en mesure d’accéder à la présidence, et que c’est une catastrophe.
La grande question, plutôt que de venir nous faire la leçon, c’est de savoir ce que vous avez fait vous, Politiques, hommes et femmes a qui l’on a confié les reines du pouvoir depuis 2002, pour que le peuple se recompose derrière des idées progressistes ou lumineuses, plutôt que vers le repli ou la peur. Si vous cherchez la réponse, elle tient en 4 lettres : RIEN. Vous n’avez rien fait. La monté du FN, ce n’est pas l’abstention, c’est vous. Au lieu aujourd’hui d’essayer de trouver suffisamment de voix pour faire barrage à cette progression, vous aviez 15 ans pour faire en sorte qu’aucun électeur ne donne un bulletin à l’extrême droite, et ce, dès le 23 avril. Mais vous n’avez rien fait. Vous n’avez rien fait et aujourd’hui des électeurs, nombreux, votent pour elle. Marine le Pen, si elle est élu, le sera démocratiquement, non pas par une majorité, mais par une partie non négligeable du peuple. Oui elle sera élu « démocratiquement » et c’est le plus terrible. Ce FN, que vous vous étiez résolu à combattre au soir du premier tour de 2002, a pu grandir tranquillement, parce que vous n’avez rien fait. Parce que vous n’avez pris vos responsabilités. Nous sommes allé voter pour vous, vous n’en avez pas tenu compte. Le FN, c’est vous.
On se retrouvera dans les urnes, oui, mais pas cette fois.
Billet de blog 27 avril 2017
On se retrouvera dans les urnes.
Mon abstention le 7 Mai prochain, et celle de tout un tas d’autres, ne viendra pas d’un je-m-en-foutisme contagieux, ou d’une partie de poker risquée avec le diable. Elle ne viendra pas non plus d’un manque d’engagement politique, ou d’une absence de réalisme face à la situation.
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