Accord du siècle à Paris : les députés de la gauche vont à la soupe
Maintenant que les partis de gauche ont échoué aux élections à la présidentielle, le moins mauvais, la France insoumise, arrivant en 3e position, le chef de cette formation a eu l’idée géniale de se faire élire Premier ministre. Il a en effet lancé un appel, le 19 avril, devant les caméras de BFM-TV, aux électeurs en vue des élections législatives de juin : « Je demande aux Français de m’élire Premier ministre » en votant pour une « majorité de [députés] “insoumis” et de membres de L’Union populaire ».
Le site de l’Assemblée nationale, à l’adresse https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/role-et-pouvoirs-de-l-assemblee-nationale/les-institutions-francaises-generalites/le-gouvernement précise comment est choisi le Premier ministre selon la loi :
« Dirigé par le Premier ministre nommé par le président de la République, le Gouvernement constitue la seconde moitié de l’exécutif bicéphale mis en place par la Constitution de 1958.
Il se compose de ministres nommés par le président de la République sur proposition du Premier ministre.
Le Gouvernement est chargé par la Constitution de déterminer et de conduire la politique de la Nation. »
Contrairement à ce que semble croire Jean-Luc Mélenchon, que le Canard enchaîné du mercredi 4 mai appelle « le maître du Je! », et qui n’est pas à quelques approximations près en ce qui concerne la Constitution de la France, c’est à Emanuel Macron, élu le 24 avril par les Françaises et les Français, de nommer le Premier ministre, ainsi que les ministres, ces derniers sur proposition du Premier ministre.
Même en admettant que M. Mélenchon, son parti et ses alliés de gauche emportent les élections législatives, rien ne peut obliger le Président fraîchement réélu à nommer qui il veut, et sans doute pas M. Mélenchon, dont l’abord n’est pas facile, à ce poste de Premier ministre.
Au premier tour, Emmanuel Macron a été choisi par 27,85 % des suffrages exprimés, soit 20,07 % des inscrits. (cf. https://www.resultats-elections.interieur.gouv.fr/presidentielle-2022/FE.html ). Le résultat n'est pas glorieux.
Jean-Luc Mélenchon, lui, a obtenu 21,95 % des suffrages exprimés, soit 15,82 % des inscrits. Son résultat est encore moins glorieux.
Les quatre candidats de gauche dont les partis envisagent une alliance représentent à eux tous 22,07 % des inscrits, soit un peu plus d’un cinquième. C’est certes plus que M. Macron, mais voilà : ils se sont présentés dans le désordre, chacun pour soi, et rien ne dit que quelqu’un qui a voté pour Yannick Jadot aurait voté pour un candidat Mélenchon, si tous les partis de gauche qui veulent maintenant s’allier l’avaient fait avant le premier tour.
C’est justement ce que l’on va voir au cours des législatives. Quelles raisons pourrait avoir un citoyen comme moi, qui ai voté Jadot, à cause de l’urgence d’une politique écologique efficace de voter pour un groupe dont le moins que l’on puisse dire est que les politiques qu’ils envisagent ne sont pas vraiment compatibles.
Du fait que les quatre partis ont sur bien des problèmes des avis divergents, on peut avoir de graves doutes sur leur capacité à gouverner ensemble, et il est tout à fait possible que dès les premiers accrocs, l’unité vole en éclat.
Leur union n’a en fait pour objet que celui d’obtenir le plus d’élus possible. On appelle cela familièrement « aller à la soupe ». Après, on verra. Apparemment, il est beaucoup moins important pour ces candidats d’être en mesure de gouverner, d’avoir un projet que l’on pourra mener en commun, que d’avoir beaucoup de députés.
Interrogé par lemonde.fr, le camp de Jean-Luc Mélenchon « assume toutefois un programme dépensier mais assure avoir prévu les mesures nécessaires pour financer ses propositions. Le montant total des dépenses est évalué par le Front de gauche à 120 milliards et celui des recettes entre 150 et 200 milliards d'euros. »
Le problème, c’est que l’inflation est en constante augmentation, que le prix de l’énergie atteint des sommets, que la valeur de l’euro diminue. Pour tout ce que la France va importer, les prix vont augmenter, annulant les effets de l’augmentation des salaires. De plus, plusieurs entreprises doivent être nationalisées, ce qui crée des dépenses supplémentaires pour l’État pour dédommager les ayants droit. Bref, nul ne sait aujourd’hui si la France peut se permettre un tel programme sans se ruiner. Le remède risquerait d'être pire que le mal.
La France doit, selon ce programme, faire ses choix toute seule, même là où elle fait partie d’une union : l’Union européenne et l’OTAN par exemple. Ainsi, la France, incapable d’inventer et de mettre au point un vaccin contre la COVID 19, a profité de celui mis au point par les Allemands de BioNTech à Mayence (Mainz), avec le soutien de l’Américain Pfizer et distribué avec l’aide de l’Union européenne. Mais, bien sûr, Jean-Luc Mélenchon n’est pas un fan de la vaccination, encore moins de l’Allemagne, et il mise sur la désobéissance. Donc, si quelque chose ne lui convient pas dans le cadre de l’Union européenne, il désobéira. Et bien sûr, ses partenaires, qui n’ont pas sa clairvoyance, accepteront, subjugués par son autorité naturelle, qu’il désobéisse et paieront à sa place… Du moins, c’est ce qu’il veut nous faire croire car nos partenaires en auront vite assez, et nous enverrons promener. Finis les avantages de l’union qui, dit-on, fait la force.
Quant aux nouveaux alliés, les partis EELV, socialistes et communistes, ils n’auront pas toujours envie d’avaler les couleuvres que les Insoumis leur présenteront. Que deviendra, dans un cas de différend grave, la belle unité affichée aujourd’hui pour la galerie ? En effet, cette union ne repose pas sur un accord détaillé et précis. Celui-ci est vague, évasif sur les points principaux. Sa seule raison d’être est une répartition des circonscriptions pour les élections, des circonscriptions qui iront peut-être, si les électrices et les électeurs en décident autrement, à une personne du centre, de droite, voire d’extrême droite. Cette union fait partie des fameux « plans sur la comète », c’est-à-dire, sans aucune garantie.
Il semble donc impossible de faire confiance à un tel ramassis d’avis différents, voire incompatibles. Quand on aura un pays rendu ingouvernable du fait de l’éclatement d’un gouvernement conçu sur l’inconstance et l’inconsistance d’une telle Chambre des députés, on pourra, en tant que citoyennes et citoyens, s’arracher les cheveux. Mais ici, l’important, ce n’est plus la France ni la vie de ses habitants. C’est simplement que celles et ceux qui ont décidé de gouverner ensemble sans en être capables soient élu(e)s. Pour quoi donc? Pour qu'ils soient élus et en profitent.
On s’étonnera ensuite que les Françaises et les Français aient de moins en moins confiance en leurs élu(e)s. Mais contrairement aux socialistes historiques tels Bernard Cazeneuve ou Stéphane Le Foll, qui peuvent démissionner d’un parti socialiste actuel qu’ils estiment indigne de l’ancien et de son histoire, les électrices et électeurs déçus doivent encore trouver une autre solution. Peut-être que les dissidents trouveront pour eux une solution acceptable ?