Le citoyen français de base est zen
Si Zénon de Citium, le fondateur du stoïcisme, revenait sur terre en Grèce, il aurait du mal à comprendre l’agitation de ses descendants manifestant contre les mesures d’austérité, lui qui prêchait la méditation pour atteindre au bonheur et à la sagesse.
Nos braves sans-culottes, eux, s’ils revenaient en France, auraient du mal à reconnaître dans cette masse de citoyens indifférents qui se disent les héritiers de la Révolution de 1789. Que sont devenues la liberté, l’égalité et la fraternité ? Qu’en est-il des droits de l’homme et du citoyen ?
En effet, les Français d’aujourd’hui n’ont pas su gérer le patrimoine légué par les générations précédentes. La liberté des plus forts empiète sur celle des plus faibles. L’égalité n’est plus assurée, le fossé s’élargissant entre les nantis et les défavorisés, qui, même s’ils travaillent, ne sont plus assurés de trouver un toit ni de vivre correctement. Quant à la fraternité, elle a fait place à l’individualité : on veut profiter du système sans y apporter sa contribution. Le Français pense à lui en tant qu’individu, mais ne considère plus les problèmes en citoyen, membre d’une société, dans laquelle il ne saurait y avoir des droits qu’une fois les devoirs accomplis.
De plus, il est devenu apathique, incapable de s’indigner, et encore moins d’intervenir. L’Etat bafoue-t-il les droits des journalistes ? Un juge condamne-t-il des innocents ? Des puissants échappent-ils à la justice ? On ne va pas manifester pour si peu ! L’école produit-elle des enfants ne sachant pas lire ? Les jeunes professeurs sont-ils lâchés sans formation sur des élèves ? La réponse est une simple journée de grève, plus ou moins suivie, qui ne fait pas peur aux responsables. L’air est-il pollué ? L’eau du Rhône est-elle souillée, et les poissons immangeables ? Les algues vertes envahissent-elles les côtes bretonnes, causant vraisemblablement la mort de quelques dizaines de sangliers et menaçant la vie des baigneurs ou promeneurs ? Bof Cela ne le dérange pas plus que cela. Les affaires se succèdent sans grande réaction. En effet, les hommes politiques ont mauvaise presse. Dans un sondage publié le 28.09.2011 sur le site www.tns-sofres.com, 72% des sondés estiment que, « d’une manière générale, les élus et les dirigeants politiques sont plutôt corrompus, contre 19% qu’ils sont plutôt honnêtes ». Ce jugement sévère et sans appel semble être corroboré par l’émergence depuis plusieurs mois par une série d’affaires dans lesquelles bon nombre de politiques, parmi les plus haut placés, ne sont pas à leur avantage. Il est en tout cas très injuste pour ceux qui, à leur poste, se défoncent pour leurs électeurs. Mais selon le principe populaire du « tous pourris », on considère qu’il n’y a pas de politique sans affaire. Un grand nombre de gens en déduisent que cela ne vaut plus la peine d’aller voter, et l’abstention gagne toujours plus de terrain. Or, l’abstention revient à une démission. Cependant, il faut bien reconnaître que les hommes politiques pris la main dans le pot de confiture n’ont pas de souci à se faire, étant donné que la plupart sont réélus. D’ailleurs, ceux qui ont le pouvoir peuvent faire traîner les choses, faire déminer le terrain par des juristes, voire agir sur la justice pour vider les dossiers de leur substance.
On se demande ce qu’il faudrait pour qu’il y ait une réaction, pour qu’il y ait une levée de boucliers, pour que le citoyen monte vraiment sur les barricades. Il y a bien des grèves, mais elles font tellement partie du paysage qu’elles n’impressionnent plus personne, surtout pas ceux qu’elles visent. Rien ne semble plus atteindre le Français, champion du monde de la consommation d’antidépresseurs, anxiolytiques et calmants en tous genres.
Genèse du projet
Après un séjour de 35 ans à l’étranger (2 ans dans un lycée tchadien, 2 ans dans un lycée allemand de Westphalie, et 31 ans à l’Université libre de Berlin), je suis rentré en France en 2006. Comparée à une Allemagne ordonnée, vivant une véritable démocratie, avec une justice indépendante, une presse écrite solide, des radios et télévisions publiques indépendantes du pouvoir, des citoyens responsables et exigeants, n’hésitant pas à protester, à manifester voire à boycotter en cas de désaccord, à exiger la démission des politiciens mêlés à des affaires, la France fait figure de république bananière.
Effrayé par l’état de la France actuelle, j’ai tenté d’en analyser les rouages et cela m’a amené à écrire un livre, que j’ai intitulé « Français, bougez-vous le Q », avec le sous-titre : « la France est malade de ses citoyens », à paraître en octobre. En effet, si la France se trouve dans un tel état, c’est avant tout parce que ses citoyens ont abdiqué, et qu’ils ne se sentent plus concernés. Il convient donc, comme à Verdun, de réveiller les morts, en tout cas, de remotiver les troupes.
Or, il reste heureusement assez de citoyennes et de citoyens conscients de leurs responsabilités, et qui se font autant de souci que moi. C’est sans doute votre cas. Comme moi, vous irez le 22 avril et le 6 mai 2012 choisir notre futur président de la République. Comme vous êtes un citoyen responsable, doté d’une conscience politique aiguë, vous allez vous informer sur le programme des différents candidats. Vous suivrez les émissions politiques de la radio et de télévision, vous en discutez avec vos proches et vos amis. Bien sûr, vous allez lire les professions de foi des candidats. Bref, lorsque vous vous rendrez dans le bureau de vote, vous saurez qui choisir et pourquoi.
Comment voter sans se tromper ?
Mais ne vous est-il pas déjà arrivé, au moment de mettre votre bulletin dans l’urne pour élire un nouveau président, de vous demander non pas seulement « est-ce que je choisis vraiment le meilleur candidat ? », mais encore « Ce choix en est-il vraiment un ? », comme pour 2002, où il ne restait plus que Chirac, dont la grande majorité ne voulait plus, et Le Pen, que 8 Français sur 10 exécraient. Ou encore : « Est-il vraiment redevenu honnête ? » à propos d’un candidat déjà condamné, ce dont la politique ne manque pas, ou d’un Président qui se représente et qui est poursuivi par les affaires, mais qui, bénéficiant de l’immunité liée à sa charge, est bien à l’abri des attaques de la justice. Ou encore « A-t-il financé sa campagne honnêtement, sans commission, sans rétrocommission, sans chèque d’un milliardaire ami ? » Vous n’en savez rien, et cela vous dérange, car vous avez une conscience politique, et vous vous demandez comment bien remplir votre devoir de citoyen votant en l’absence d’informations essentielles, et vous vous dites qu’il y a, comme disait Fernand Raynaud, « comme un défaut ». Et ainsi, vous vous mettez à douter de la pertinence du système électoral français, le poste le plus important ne vous permettant pas le choix qu’il mériterait.
En outre, votre voix se perd comme une goutte dans l’océan. Vous avez des doutes sur la conscience politique de vos concitoyens, et vous redoutez que certains choisissent le sourire, la cravate ou le décolleté, ou encore qu’ils votent par tradition familiale, ou pour choquer leurs parents, bref que les autres électeurs n’étudient pas le programme des candidats. Car la démocratie, c’est la loi de la majorité, et elle n’a de chance de fonctionner correctement que si cette majorité est capable de juger par elle-même, et ne se laisse pas embobiner par des politiciens qui nous sont vendus par des spécialistes de la communication et du marketing, comme une vulgaire lessive ou des croquettes pour chiens. On ne fait donc pas appel au sens politique du citoyen, mais à ses sentiments. Cela remet en cause la formation du sens critique des votants, leur éducation, l’école laïque, car on n’est pas sûr que l’électorat ne tombera pas dans le panneau.
Eh oui ! Quand vous allez voter, les carottes sont déjà quasiment cuites, puisque, trop souvent, aucun des deux candidats qui restent ne vous convient vraiment. Ce n’est donc pas en choisissant l’un plutôt que l’autre que vous changerez quoi que ce soit au système. Surtout si les politiciens partent du principe qu’ils ne sont pas obligés de réaliser leurs promesses, puisque, c’est bien connu, elles n’engagent que ceux qui y croient, donc, les électeurs les plus crédules.
Comment changer les choses ?
Si l’on veut que les choses changent, que le Président choisi soit le plus honnête, le plus sincère, le plus compétent, le plus efficace possible, si l’on veut qu’il travaille avec une équipe valable sur laquelle il va s’appuyer, et si l’on veut en plus, soyons fous, que tous ces gens-là fassent passer les intérêts de la France et des Français avant le leur propre, alors, il va falloir non seulement changer les politiques, mais aussi ceux qui les choisissent. Autrement dit, c’est le comportement des citoyens qu’il va falloir modifier en profondeur, pour que non seulement naissent dans leur sein de bons hommes politiques, mais encore qu’ils parviennent à choisir les meilleurs, et qu’ils sachent aussi les pousser, les aiguillonner, reconnaître leurs mérites, et les sanctionner en cas de faute. S’ils veulent avoir des politiques honnêtes, au service du pays, il faudra que les citoyens qui en constituent le vivier suivent eux-mêmes à la lettre les lois de la République, et qu’ils exigent la même chose de leurs élus. En résumé, il va falloir revoir le système entier en le refondant sur nos bases, nos fondamentaux : la liberté, l’égalité, la fraternité et la laïcité.
Afin que le citoyen tant soit peu responsable ne soit plus frustré, nous voudrions lancer le projet « Français, bougez-vous le Q ».
Le projet en quelques mots
Ce projet se propose, avant les élections présidentielles de 2012 et les législatives qui suivront :
1. De secouer les citoyennes et citoyens pour les ramener à plus de civisme, leur rappeler leurs responsabilités et les pousser à se mobiliser pour qu’ils exigent des candidats qu’ils prennent position fermement et avec précision par rapport à un catalogue de problèmes à résoudre.
2. D’encourager les journalistes politiques à ne plus faire le jeu de la politique spectacle (plus de chasse forcenée au scoop, de recherche et de commentaire de petites phrases) , à interroger les candidats sur leurs idées et leur programme, de refuser la langue de bois et de se laisser intimider, de bien vérifier leurs informations avant de les donner, de renoncer à vendre la peau de l’ours, de traiter les sondages avec modération et professionnalisme, comme des thermomètres de l’opinion à l’instant T, bref, d’être sincères, honnêtes, responsables, d’ éclairer l’opinion sans la forcer.
3. D’obliger les candidats
a. à expliciter leurs intentions en prenant position par rapport à un catalogue de problèmes qui sont ceux que les Français rencontrent dans leur vie de tous les jours et qui doivent être résolus. Cette déclaration d’intention constituerait un programme ;
b. à s’engager devant les électrices et les électeurs à appliquer ce programme sur lequel il aurait été élu et à accepter d’être jugé sur ses actes.
c. à éviter les petites phrases assassines, la langue de bois, la tendance à noyer le poisson, les bassesses de tout ordre et de veiller à ce que leur entourage fasse de même.
L’objectif est de responsabiliser les citoyens, les journalistes et les candidats afin que la politique qui règle la vie du pays soit enfin prise au sérieux, et que soit vraiment travaillé à l’avenir des Français. Nous avons tous conscience de l’importance particulière des prochaines élections. La situation du pays n’est guère brillante, et il va falloir remettre bien des choses à plat : refonder un système d’impôt juste, équitable, qui n’étrangle ni le travailleur, ni les entreprises, et qui répartisse les impôts équitablement. Refonder un système d’enseignement qui rétablisse l’égalité des chances, qui permette à tous, selon ses possibilités, ses goûts et ses aspirations d’atteindre le but optimal et de réussir sa vie. Refonder un système judiciaire indépendant du pouvoir, et lui donner assez de moyen pour assurer une justice équitable. Revoir le système financier, réduire la dette, encourager les citoyens à respecter l’environnement, trouver le moyen de faire participer les citoyens à la politique du pays, etc.
Il faudra donc choisir un président courageux, qui ait l’intention de faire tout cela, qui nous le promette tout en se sentant lié par ses promesses, qui pratique sa politique dans la transparence et qui tienne le langage de la vérité. De notre côté, nous devrons tenir compte de ses efforts, lui accorder la confiance qu’il saura mériter et soutenir son effort avec courage, et sans impatience.
C’est en formant une véritable équipe que nous aurons le plus de chances de triompher des difficultés, d’où qu’elles viennent. Et nous retrouverons le plaisir de vivre ensemble, le Nord avec le Sud, l’Est avec l’Ouest, le centre avec la périphérie, les jeunes avec les vieux, les femmes avec les hommes, les Français avec les étrangers, les patrons avec leurs employés. Enfin, formant un bloc solide, nous aurons plus de poids vis-à-vis de ceux qui veulent profiter du système sans apporter leur propre part. Bref, nous ferons honneur à notre devise : Liberté, Égalité, et surtout Fraternité. Alors, Français, bougeons-nous le Q. Il est minuit moins cinq.