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Billet de blog 15 mars 2020

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Chronique de la planète infectée

Alors que les italiens sont enfermés depuis une semaine, les français se montrent insouciants face à l'alerte qui monte.

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Chroniques de la planète infecté… un jour dans le présent

Année 2020 – Paris City

 Un œil à l’Italie, un œil à la France, une appréhension inconnue quand mes enfants sortent pour aller à l’école. Je travaille aux épreuves de mon roman. Ma vie solitaire de toujours. Depuis quelques jours, je n’arrive pas à travailler, je louche. L’Italie en pleine panique épidémie, la France aveuglée. Qu’arrive-t-il à mes proches en Italie ? Qu’arrive-t-il aux français habituellement si rationnels, devenus à mes yeux irresponsables voire insensibles ? Jamais depuis que je vis en France, mon pays m’a autant manqué. Nous vivions en Europe pourtant. La peur s’empare de moi, à chaque mesure d’enfermement prise en Italie, je me sens plus prisonnière, luttant contre l’envie de m’enfermer et mon sens du devoir, aller en cours, à une réunion à l’école. Je commence à avoir des pensées folles la nuit : si nous devions partir à pied suite à une catastrophe nucléaire, que mettrai-je dans mon sac à dos ? Je commence à faire des choses dont j’ai honte : acheter des paquets de pasta Rummo, des tomates Mutti (je connais mes compatriotes, nous sommes nombreux à Paris, ils auront mes mêmes reflexes). J’achètes des pois-chiche, des haricots, de la farine, des sprays désinfectants, des gants jetables, les masques étant en rupture de stock depuis des jours. Je prépare le refuge pour moi et les enfants. Moi qui suis incapable de faire des courses sans oublier quelque chose, je deviens efficace. Je n’arrive à rien faire d’autre que lire les messages qui arrivent de chez moi, m’angoisser, acheter des vitamines, des serviettes hygiéniques, parler avec ma mère, mon frère, le père de mes enfants, mes cousines, mes copines. Je ne sais plus où je suis, ici ou là-bas.

 Je croise mon voisin mercredi (11 mars, jour de commémoration de l’accident de Fukushima…), un homme attentionné et intelligent. Il part vendredi prochain pour la Corée. Et là je craque. Je lui dis qu’il ne devrait pas. Il laisse à la maison sa femme avec deux jeunes enfants. Il me regarde sans comprendre, un peu agacé. Il m’explique poliment que l’épidémie est sous contrôle en Corée du sud. J’évite de le lui répondre que ce qui n’inquiète n’est pas la Corée justement… et là je comprends. Je vis décalée dans le temps, je suis dans le futur, j’ai quinze jours d’avance sur lui, je suis dans un film dont je connais la suite, alors que lui vient juste de commencer à le regarder. Voilà pourquoi je louche, pourquoi j’angoisse. Je comprends, parce qu’il y a trois semaines, en rentrant de vacances du nord d’Italie, j’ai réagi comme lui. J’ai vu des gens avec des masques, c’était le tout début de cette terrible histoire. L’air pollué de Turin me semblait bien plus dangereux que le virus. D’ailleurs tout est tellement relié, si seulement nous arrivions à penser, faire des liens. Chaque pays montre son inconscient collectif dans ces situations. L’Italie a une longue histoire de misères et de galères, face au désastre les gens savent comment réagir (beaucoup mieux que face à la richesse d’ailleurs). Mais le mépris envers mon pays et son système sanitaire me met en colère (j’attends depuis presque un an mon numéro de sécurité sociale, avec deux mineurs à charge, ce qui n’est pas très rassurant).

Le discours du président jeudi 12 me soulage un peu, mais pas complètement. Écoles fermées à partir de lundi. Mais vendredi ? Élections maintenues. Ah bon ? En Italie les églises sont fermées, le championnat de foot a été annulé, des mesures jamais vues, même en temps de guerre. Les gens commencent à s’organiser. Ils se donnent des rendez-vous à la fenêtre pour chanter tous ensemble, les prof. enseignent à distance, il faut faire la queue aux supermarchés parce qu’ils ne font entrer que cinq personnes à la fois. Mes voisins d’en bas font une fête. Ma fille et moi aurions envie de descendre et de les gifler. Tous. Mes copines italiennes à Paris me rassurent, elles vivent la même dissonance cognitive. Elles s’enferment aussi. J’annule la semaine de signatures du roman traduit en français. Personne ne comprend. Pazienza ! Que la quarantaine commence.

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