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Billet de blog 19 mars 2020

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Chronique de la planète infectée

Day 1 du confinement, Paris 16 mars 2020. Une petite famille italienne s'organise.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

#day 1 – 16 mars

 Ce matin le bruit de cloche paraît sinistre, aucun cri d’enfant, aucune gardienne qui crie à 8.30, allez, allez, viiiiteeee. Pourtant mon fils s’est réveillé à 8 heures, il s’est habillé, il voulait être prêt pour l’école. Nous sommes sortis acheter du pain avant que les gens se ruent dans les supermarchés. Nos fenêtres donnent sur la rue, je vois défiler les personnes avec leurs courses, certains partent avec leurs valises, ils quittent la ville infectée pour aller infecter ailleurs, dans leurs maisons de campagne. Sans voiture nous ne pouvons aller nulle part. Notre maison de campagne se trouve en Italie. Soudain je me sens en exil, avec la nostalgie du pays. Avec ce virus nous sommes tous exilés en ce moment. Exilés de notre vie précédente. Loin de nos proches, de nos certitudes, de nos habitudes.

Depuis quelques jours il y a plus d’oiseaux qui chantent et volettent dans le petit jardin en face de chez nous. Est-ce le printemps ou le fait que finalement nous les laissons un peu tranquilles ? Les dauphins dans le port de Cagliari, les poissons dans la Laguna de Venezia, les singes en Thaïlande… La nature est tellement plus grande et forte que nous. Il lui suffit de quelques jours à peine. Ce virus nous apprendra des choses.

Le reste se passe devant les écrans. Nous entrons dans l’ère des dilemmes, confrontés à toutes les contradictions, quels temps époustouflants nous attendent.

Je reçois un appel de l’agent immobilier. J’ai visité un appartement il y a quelques jours, j’ai fait une offre. Il voudrait signer le compromis cet après-midi. Je tombe des nuages et lui me semble un martien. Il fait son job, c’est normal, mais non ce n’est pas normal. Comment pourrais-je dans une situation pareille prendre une décision si importante ? Le voilà le dilemme, j’en prends plein la figure. Investir à Paris c’est raisonnable, je ne peux pas me tromper et nous en avons besoin, nous manquons de place, je rêve d’avoir une chambre pour moi, pour travailler, m’isoler, héberger des copains. Mais aujourd’hui cela me semble totalement déplacé, irréel. Impossible. 

Le temps, on en prend la mesure. Il devient lourd, insurmontable. Tout me semble insurmontable, même corriger les épreuves du roman. Le relire à haute voix. L’attention ne dure pas plus que trois pages, parce que ma tête ailleurs, parce qu’un message, un appel, un œil à l’actualité, mon fils n’en peut plus. Il arrive, éteint la radio et crie qu’on ne parle que de ça, qu’y a-t-il encore à dire ? Les morts, les malades, ces chiffres sans noms m’accablent. Comme un bulletin de guerre. Les frontières de l’Europe m’accablent. En ce moment c’est la Grèce, le camp de Lesbos. Le virus ne choisit pas ses hôtes, il s’enfile où il veut, il frappe brutalement les personnes plus fragiles. Alors ces femmes, ces enfants, ces hommes déjà si fragiles, qui ont voyagé de cauchemar en cauchemar, pour se retrouver dans un camp, je n’ose même pas y penser. Le virus oui, mais mon fils a raison, il ne faut pas oublier de regarder ailleurs. Jamais. Nous faisons de la gym dans notre petit salon, pour ne pas oublier que nous avons un corps.

Ce soir le discours du Président qui annonce le couvre-feu, la fermeture totale. Pourvu que ce ne soit pas trop tard, que les hôpitaux n’explosent pas, que les médecins, les chercheurs et tous les soignants ne tombent pas malades. Qu’ils restent en vie. Je n’aime pas cette rhétorique, bien présente en Italie, sur les héros et les héroïnes. Ils le sont bien-sûr mais cela détourne l’attention du vrai problème : la démolition systématique des services de santé, l’absence de moyen de la recherche scientifique. Ce ne sont pas les héros qui sauvent, il n’y a que la responsabilité collective. Est-ce que le virus nous donnera cette leçon ?

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