Pas de cloche de l’école ce matin. Encore des gens qui vont faire les courses. Des queues, des vieux qui n’ont aucune prudence, pas de gants, de masques, ni de distance de sécurité. Se croient-il invulnérables ? Individualistes jusqu’à la mort, voilà ce que nous sommes (en France il n’y a même pas les chutes de la culture catholique). C’est comme ça, dans le meilleur et dans le pire. La manière dont la crise est gérée en Asie montre des différences profondes dans nos cultures. Mais là, il faut qu’on arrête avec cet infantilisme.
Le silence s’installe peu à peu. Comme s’il avait neigé, alors que le printemps arrive. Le merle Pouic prépare le nid avec sa compagne, ils ont beaucoup de travail, je les regarde faire des aller-retours. Voilà un grand sujet : l’amour au temps du Coronavirus. Pauvres amoureux lointains, adolescents de tous âges, adultères séparés ; pauvres couples délabrés, mal en point, forcés de se fréquenter plus que trop. J’y reviendrai, le sujet me passionne.
Mais surtout pauvres femmes et enfants d’hommes violents. C’est à elles que je pense ce matin en me réveillant, à eux. Le confinement comme torture. Un piège sans issue, la terreur qui règne.
Comment peut-on rester en communion avec les autres alors que nous sommes tous enfermés ? Est-ce que nos pensées, nos intentions peuvent avoir un effet ? Est-ce que les énergies traversent les murs de nos maisons, de nos prisons ? Oui, je sais, ça fait un peu new age. Mes pensées partent dans tous les sens, j’ai du mal à me concentrer, à lire plus que quelques pages du roman. Le téléphone n’arrête pas avec ses alertes, basta, je l’enferme en mode silencieux dans un tiroir mais je n’arrive pas à l’éteindre. J’entre dans la phase où je n’en peux plus du roman, à force de lire et relire et relire, il m’ennuie. Je relis à haute voix, c’est le seul moyen d’entendre la musique des mots, mais là j’ai la voix cassée. Mon humeur est instable, ingouvernable mais j’essaye de garder le moral.
Sur notre petit bateau à la dérive dans ces temps incertains, la capitaine n’a pas trop le droit de montrer ses faiblesses à l’équipage. Nous naviguons à vue, notre seul horizon est celui qui nous mène du matin au soir, un jour après l’autre. L’humanité a perdu la boussole. C’est peut-être notre seule chance de nous en sortir ; être déboussolés, penser autrement. Et surtout la règle numéro un : stay with the trouble. Rester en contact avec le problème. Pas de solutions magiques, d’espoirs mal placés, pas de déprime. C’est tellement difficile de garder cette posture. Il y a des livres qui m’aident, les grimoires de la pensée éco-féministe, Anna Tsing, Donna Haraway, Silvia Federici… prendre soin et rester avec le problème.
À 16 heures gymnastique. On ne parle que de maladie en ce moment. Rester actifs, manger sain, boire régulièrement, aérer l’appartement, se laver les mains, désinfecter la maison, autant de mesures nécessaires pour ne pas devenir fous. Bizarre de penser que le virus peut être partout, que tous nos gestes quotidiens deviennent des gestes à risque, même serrer la poignée d’une porte, pousser sur un bouton. Un virus qui survit des heures, voire des jours sur des supports inorganiques, c’est flippant.
Le monde à l’envers. La météo annonce du soleil. C’est quoi cette blague ? Le temps s’écrase, deux jours ne font qu’un. Parce qu’ils se ressemblent beaucoup. J’écris ce journal pour ne pas me perdre dans le temps. Et pour garder un lien avec les autres, ceux que je porte en moi.
Ce soir, 18 mars, les applaudissements à 20 heures sont bien plus sonores…