#Day 4 & 5 – 19/20 mars
Oui le printemps, malgré tout. Travailler avec les fenêtres ouvertes pour que l’air doux arrive jusqu’à nous, rêver d’un jardin, d’une forêt. Les fenêtres prennent de l’importance. On s’y retrouve, on se regarde, on applaudit le soir à 20 heures, des petits rituels s’installent. Ma pensée ce matin va à ceux qui vivent dans des appartements insalubres, les uns sur les autres, dans des cités, des bidonvilles partout dans le monde, autour des grandes agglomérations. Les pages de «Shataram» de David Gregory Roberts me reviennent à l’esprit, médecin improvisé dans un slum de Bombay, la vie comme une absurde épopée. La mort partout, toujours, ce virus n’y changera pas grand-chose. Mais la vie aussi, puissante, explosive. Nous avons perdu l’habitude à la mort, et pourtant.
Nous sommes tous humains, liés par un même destin, mais pas tous pareils. Ce virus qui traverse les murs et les frontières ne touche pas tout le monde de la même manière. Il met à nu les disparités, les contradictions, il expose l’indécence du monde tel que nous le connaissons, que nous avons contribué à construire. Disparités entre riches pauvres, entre hommes et femmes. Les enfants ne sont pas touchés. Que le monde soit à eux !
Amazon recrute.
Je sors acheter du pain. J’aurai tellement envie de traverser Paris, me pencher sur la Seine, marcher des heures, flâner. Me perdre. On ne se perd que dans sa tête ces temps-ci. Tout s’embrouille. Les enfants disent que leur vie est loin, comment leur expliquer que celle-là aussi est leur vie ? Qu’il y ait des chances que leur vie ne ressemble plus tellement à celle qu’ils avaient avant ? Que ce temps peut nous servir à imaginer autre chose. Je leur propose un jeu : nous ferons une liste de toutes les choses que nous ne voudrions plus. Et une de celle que nous aimerions garder. Livia dit ce qu’elle répète souvent dans sa sagesse de gamine, – le vrai virus c’est l’argent.
La phrase d’une copine me fait rire : « Les français sont des italiens qui se prennent pour des allemands ». Finalement la bonne définition. Que l’Italie serve de modèle en ce moment m’épate. Modèle de quoi ? Les services de santé anéantis par les nantis, avec comme seul objectif le profit. Beau résultat.
Ce matin (20 mars) j’ai « rencontré » une classe d’un lycée de Calabre pour leur parler d’un livre que j’aime, « Les petites vertus » de Natalia Ginzburg. Une visio-conférence avec une vingtaine d’élèves. Quelle joie de discuter avec eux, savoir ce qu’ils pensent, sont-ils d’accord avec la déclaration que nous sommes en guerre ? Ont-ils peur ? De quoi ont-ils nostalgie ? Un beau moment de partage qui donne un sens à cette journée. « Il y a une certaine uniformité monotone dans les destins des hommes. Nos existences se déroulent selon des lois anciennes et immuables, suivant leur ancienne cadence uniforme » écrit Ginzburg. Les élèves disent que oui, il y en a marre de cette idée que tout doit être unique, extraordinaire. Ce qui leur manque c’est aller manger chez la grand-mère, retrouver les copains. Pourrait-on écrire un éloge de la monotonie ? Ils me demandent de nous rencontrer encore vendredi prochain. Heureuse de ce petit rendez-vous.
Un réseau d’aide pour les sans-abris du quartier s’organise. Des points pour déposer de la nourriture ; même à distance pouvoir être là.
Je viens d’apprendre que la sortie de mon roman en juin est reportée (annulée ?) Je vais me coucher la boule au ventre. Nous aurons tous des mauvaises nouvelles, grandes ou petites à gérer.