En direct de Lima, Pérou (1/2). Peggy Pascal fait le bilan de la première semaine des négociations de la conférence climat COP20, dernière étape décisive avant la Conférence Paris Climat 2015 qui doit aboutir à la conclusion d’un accord mondial. Chargée de plaidoyer pour Action contre la Faim, elle participe aux échanges internationaux qui se tiennent du 1er au 12 décembre. Et partage ses observations.
Connaissez-vous le syndrome de la grenouille ? La petite histoire dit que si on plonge une grenouille dans une casserole d'eau chaude, la grenouille a le réflexe de s'en échapper. En revanche, si cette même grenouille est plongée dans une casserole d'eau froide que l'on fait monter progressivement en température, alors la grenouille ne bouge pas, ne cherche pas à s'échapper, jusqu'à finir morte et bel et bien rôtie. La première semaine de négo vient de s’achever à Lima. Ce matin au réveil, je me débats avec un sentiment d’oppression, de tristesse et de panique… avec cette douloureuse impression de vivre dans un monde de grenouilles !
Quand va-t-on enfin se réveiller ? Où est le bouton d’alerte rouge ? Où sont les porte-voix et les sirènes ? C’est tout cela en même temps que j’aimerais allumer.
Nous attendions de cette semaine que certaines questions clés soient traitées afin que l’on puisse avancer rapidement dans la deuxième semaine pour avancer le plus possible sur l’accord qui devrait se signer à Paris l’an prochain. Il n’en est rien, les négociations n’ont pas vraiment commencé, les négociateurs avancent les mains devant les yeux et en se bouchant les oreilles. Ils s’accrochent à des postures qui ressemblent bien souvent à des impostures.
Alors à quoi a-t-on occupé son temps dans les négociations cette semaine ? On se demande si le texte qui est sur la table, ce non-paper qui est le premier brouillon du texte final, est bien légitime ? On se questionne sur son statut ? Une fois que plusieurs heures de négo ont été passées à discuter ce point - sans toutefois le trancher-, on se demande s’il faut négocier ligne par ligne ou paragraphe par paragraphe.
On se met d’accord sur l’option paragraphe. Mais les Etats se remettent, dans la minute, à négocier ligne par ligne. Certains Etats se fâchent alors et d’autres s’emportent car on se fâche contre eux… L’Arabie Saoudite se demande pendant de longues et précieuses minutes si le rapport du GIEC est bien le document scientifique le plus fiable ! Les pays francophones ou hispanophones prennent peu la parole, puisqu’on ne peut s’exprimer qu’en anglais et qu’il n’y a aucune traduction[1]. Ah ? le temps de la négo est écoulé… Bon, et bien : « la session est close » nous dit le chair… Rage.
Et pourtant… Et pourtant, à Lima c’est notre avenir à nous tous, peuples de ce monde qui se joue. Le changement climatique est un problème de notre génération. Va-t-on enfin entendre que notre existence, nos vies sont menacées dès aujourd’hui ? Jamais l’humanité n’a dû relever un défi collectif aussi grave, qui touche tout le monde, n’épargne personne. Tous les rapports scientifiques convergent, c’est ici, c’est maintenant, et c’est grave.
Nous n’avons plus le temps. Pas même une semaine à perdre.
Le changement climatique ne se réduit pas à la disparition des ours polaires (que je dénonce par ailleurs[2]), ou de la météo caniculaire des étés français. Le changement climatique c’est la multiplication des conflits qui mettent en danger la paix et la sécurité, c’est une augmentation sans précédent du nombre de migrants :jusqu’à un milliard de migrants en 2050.
600 millions de personnes en plus qui souffriront de la faim en 2080, c’est 10 millions d’enfants en plus menacés de mort par la sous-nutrition en Afrique en 2050. C’est tous les petits pas que nous avons fait ces dernières années à Action contre la Faim pour lutter contre la faim et la sous-nutrition qui risquent d’être balayés, annulés.
Je pense aux femmes et aux enfants de notre monde, qui comme cela arrive souvent (quelqu’un a dit toujours ?!) seront les plus touchés alors que ce sont eux qui sont généralement laissés sans voix. Je pense aux peuples d’Amazonie à qui on arrache leurs terres, je pense aux petits agriculteurs contraints de quitter leurs villages car plus rien ne pousse. Je pense à eux et je me dis que si la grenouille ne sort pas de la casserole, elle va brûler… sauf si nous éteignons d’urgence le feu sous la marmite…
Qu’espérer alors de la seconde semaine ? Qu’espérer de cette année qui nous sépare de la COP à Paris présentée comme la COP de la dernière chance? Il faut que les négociateurs se réveillent et réalisent que les négociations climatiques ne sont pas une négociation comme une autre. C’est notre survie qui est enjeu. La mienne, celle de mon fils, la nôtre, la leur, celle de leurs enfants, celles de leurs peuples. Le monde sera-t-il capable pour la première fois de l’histoire, de réfléchir à l’intérêt collectif ?
Comme je l’espère.
Peggy Pascal,
Chargée de plaidoyer
[1] Rappelons quand même que le Français est la deuxième langue de travail des Nations Unies et que toutes les négociations et réunions doivent être traduites en français. Ce non-respect des textes est un grave problème qui réduit au silence ou appauvrit les contributions d’une grande partie des pays.
[2] Rappelons que selon la revue Nature 1 million d’espèces pourraient être menacées par les impacts du changement climatique et que c’est toute la chaine alimentaire qui sera affectée.