Nous avons besoin que les parties restent cohérentes avec leurs engagements et prennent en compte la sécurité alimentaire dans cet accord de Paris qui posera les bases de notre avenir.
En 1992, lors de la rédaction de la Convention sur les changements climatiques, les rédacteurs ont inclus la production alimentaire dans l’article 2 de la CCNUCC. Effectivement, dans les années 90, la question de la sécurité alimentaire et celle de la production de nourriture étaient fortement liées. Mais le monde a évolué et ce n’est plus le cas aujourd’hui : nous produisons assez de nourriture, près de deux fois la quantité qui serait suffisante pour nourrir la planète (4600 calories par personne et par jour alors que nous avons besoin de 2100 calories). Aujourd’hui, la faim dépend principalement de l’accès à une nourriture suffisamment nutritive. Près de 795 millions de personnes souffrent encore de la faim en 2015.
Action contre la Faim soutient l’inclusion de la mention de sécurité alimentaire dans l’Accord de Paris. La sécurité alimentaire est assurée lorsque toutes les personnes, ont, en tout temps, économiquement, socialement et physiquement accès à une alimentation suffisante, sûre et nutritive qui satisfait leurs besoins nutritionnels et leurs préférences alimentaires pour leur permettre de mener une vie active et saine. La sécurité alimentaire est un concept qui a été admis et défini au sommet mondial pour l’alimentation des Nations Unies en 1996. Il s’agit donc d’une définition des Nations Unies dont les Parties à la Convention peuvent se saisir. De nombreux Etats parties sont conscients que la lutte contre l’insécurité alimentaire et nutritionnelle est une priorité dans leurs pays, et de ce fait 61% des contributions prévues déterminées au niveau national (INDC) mentionnent la sécurité alimentaire.
Nous assistons à une grande avancée dans le texte publié samedi où la sécurité alimentaire est mentionnée trois fois. Mais nous notons aussi l’introduction de la « production et la distribution alimentaires » dans l’Accord, à la place de la sécurité alimentaire ou en complément.
Nous appelons les ministres à la vigilance : le focus actuel sur la production et la distribution n’est pas une approche crédible pour surmonter l’insécurité alimentaire en diminuant les émissions de gaz à effet de serre. La production et la distribution alimentaires relèvent principalement du commerce et l’agro-business, responsables en grande partie des émissions à de gaz à effet de serre dans le secteur agricole. Leur réduction est urgente et les actions d’atténuation doivent rester une priorité. Il est nécessaire de ne pas dépasser une hausse de température d’1,5°C car au-delà, les bouleversements qui en résulteraient seraient bien plus violents pour les plus vulnérables (sécurité alimentaire, accès à l’eau ou catastrophes naturelles).
Certains pays, comme ceux du Like-Minded Group of Developing Countries (groupe des pays en développement aux points de vue convergents) soutiennent depuis plusieurs mois la production et la distribution alimentaires. En Argentine, l’élevage de bétail contribue à 18% des effets de réchauffement global. Se cantonner à la mention de production alimentaire revient à maintenir un système alimentaire inefficient et polluant au lieu d’assurer la sécurité alimentaire et le droit à l’alimentation.
On ne peut que relever le paradoxe faisant de la production de nourriture un des facteurs clé de la crise environnementale qui menace la sécurité alimentaire.
L’agriculture a changé davantage en deux générations qu’elle ne l’a fait dans les derniers 12 000 ans. A travers le XXe siècle, nos systèmes alimentaires se sont transformés d’une production locale et durable à un système industriel dépendant des énergies fossiles dans une économie globalisée. Nous devons reconnaître que le système alimentaire actuel a failli dans plusieurs domaines, mais surtout dans sa fonction première : nourrir l’humanité. Malgré l’utilisation de la haute technologie et de supposés intrants agricoles améliorés, la malnutrition est au plus haut que ce soit à cause d’une carence en vitamines et en micronutriments ou de régimes alimentaires pauvres. L’utilisation de pratiques agricoles très intensives en intrants a entrainé une destruction des terres arables et l’augmentation de l’érosion.
ACF appelle les ministres à être cohérents avec les Objectifs de développement durable adoptés par leurs pays lors de l’Assemblée Générale des Nations Unies en septembre 2015. Ce système alimentaire agro-industriel et globalisé mène le monde à une crise alimentaire et à un point de non-retour environnemental. Il est inacceptable que les Parties utilisent la sécurité alimentaire comme une excuse pour promouvoir des systèmes de production alimentaire inefficaces et polluants. C’est une question de dignité et de justice climatique.
Stéphanie Rivoal, Présidente de Action contre la Faim
Mike Penrose, Directeur Général de Action contre la Faim
Contact presse – Léa Vollet - +33619789451 – lvollet@actioncontrelafaim.org