Alors que 795 millions de personnes souffrent aujourd’hui de la faim et que 8000 enfants meurent chaque jour des causes de la malnutrition, les changements climatiques constituent un fardeau supplémentaire pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle des plus pauvres. Le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) est formel : si un plan d’action ambitieux n’est pas mis en œuvre dès maintenant, il sera difficile voire impossible de maintenir la température à la surface du globe en deçà du seuil des +2°C de réchauffement (par rapport à l’ère préindustrielle). Au-delà de ce seuil, nous devrons faire face à des conséquences irréversibles, en particulier pour les populations les plus fragiles, les femmes et les enfants en premier lieu.
Dégradation des terres, destruction des récoltes, salinisation des sources d’eau douce, réduction des terres fertiles et des zones de pâturage, fréquence et intensité accrues des inondations et des sécheresses : les impacts des changements climatiques nuisent aux quatre piliers de la sécurité alimentaire - disponibilité, accès, stabilité et utilisation. Si les tendances climatiques actuelles se confirment, la production de blé pourrait enregistrer une baisse de 10 à 20% d’ici à 2030 comparé aux rendements des années 1998-2002. La baisse des rendements agricoles aura certainement pour conséquence une hausse des prix des produits alimentaires de base. D’ici 2090, nous devrons faire face à des sécheresses deux fois plus fréquentes et six fois plus longues. Ainsi, entre 2030 et 2050, on s’attend à ce que les changements climatiques entraînent près de 250 000 décès supplémentaires par an, dus à la malnutrition, au paludisme, à la diarrhée et au stress lié à la chaleur. Enfin, la concurrence sur les ressources naturelles (eau, pâturages) accentue le risque de conflits et les flux migratoires, qui à leur tour amplifient le risque d’insécurité alimentaire et nutritionnelle. Les projections les plus optimistes concernant le réchauffement climatique prévoient que le taux de sous-alimentation en Afrique augmentera de 25 à 90% d’ici à 2050.
Les changements à l’œuvre menacent de réduire à néant les progrès réalisés ces dernières années dans la lutte contre la faim et la sous-nutrition. Faire de l’agenda climat un agenda contre la faim, voilà l’opportunité extraordinaire que représentent les négociations internationales de la CCNUCC sur le climat.
Lors des négociations tenues à Genève en février dernier, le terme « sécurité alimentaire » est apparu pour la première fois dans le texte pour Paris, à la fois dans le préambule du texte provisoire, mais aussi dans le chapitre sur l’adaptation au changement climatique. Cependant, rien ne dit qu’il y restera jusqu’à la COP 21. En effet, le texte des négociations n’est pour l’instant qu’une compilation de positions très divergentes, sur des enjeux variés. Les nombreuses options laissent la porte ouverte à toute modification et certains pays préfèreraient opter pour la référence à une augmentation de la production alimentaire, terme bien plus restrictif.
Alors que s’achèvent aujourd’hui la deuxième session de négociation climat à Bonn, on a du mal à être optimistes. Les états ont peu avancé durant ces 10 jours. Les négociateurs se sont essentiellement concentrés sur la forme du document. Négociant sur les virgules ou les crochets, c’est l’avenir de l’humanité qu’ils ont mis entre parenthèses. Les points difficiles et les questions de fonds comme le financement de l’adaptation, la réduction des émissions ou encore la question des droits humains, ont peu avancés. Certains pays développés ou émergents refusent de reconnaitre que l’agenda climat et l’agenda du développement sont un seul et même agenda, qu’il est obsolète de les traiter séparément. Dans les couloirs, il faut expliquer inlassablement aux négociateurs qu’une augmentation de la production alimentaire à elle seule, contrairement à ce que laissent entendre certains lobbies de l’agro-business, ne peut permettre d’assurer la sécurité alimentaire. Si le comité pour la sécurité alimentaire constitue une arène spécifique pour aborder les enjeux agricoles et alimentaires mondiaux, mais cela ne justifie pas un manque de cohérence entre les différentes arènes de négociations internationales. Nous produisons aujourd’hui suffisamment pour nourrir près de 12 milliards de personnes. La faim dans le monde est avant tout une question d’accès à l’alimentation. Elle est due à un manque de volonté politique.
La sécurité alimentaire, aucœur de la convention de Paris
Il est capital qu’à Paris, les états reconnaissent explicitement que le changement climatique aura des conséquences majeures sur la faim dans le monde et la sous-nutrition et s’accordent à faire de la lutte contre la faim un objectif des actions prises pour lutter contre le changement climatique. Enfin, il est impératif de demeurer vigilant face aux mirages que constituent certaines « fausses solutions », à l’instar de la GACSA, l’alliance globale pour une agriculture intelligente face au climat (AIC), qui présente par exemple les OGM , les pesticides ou les agro carburants comme des « solutions intelligentes face au climat ». Dénué de cadre de redevabilité et de suivi, il englobe des modèles agricoles extrêmement différents (de l’agro-écologie à la promotion des OGM), dont les impacts environnementaux sociaux et économiques varient. L’agriculture intelligente face au climat est un concept beaucoup trop imprécis, pourtant il est déjà dans toutes les bouches et de plus en plus de textes ou de stratégies de financement s’y réfèrent. Mot valise, ce concept fait du climat un alibi pour faire l’apologie d’un modèle agricole que l’on sait pourtant néfaste aux petits producteurs et à l’environnement. Le concept et son alliance ne doivent absolument pas apparaitre dans l’accord ou dans l’agenda des solutions qui sera porté à paris. Il n’y a pas de « quick fix » à espérer pour permettre aux plus pauvres de faire face aux impacts du changement climatique. Lutter contre le changement climatique et lutter contre la faim relèvent du même effort, du même impératif et de la même urgence. Objectifs indissociables, il est plus que jamais impérieux d’en faire des agendas conjoints.
Claire Even et Peggy PASCAL, ACF