Si ce jour s’annonçait riche en engagements, notamment quant à la transformation nécessaire de nos systèmes alimentaires vers plus de respects des droits humains et la sécurité alimentaire mondiale, ce lundi, l’ouverture de la session de négociations annuelles du Comité pour la Sécurité Alimentaire mondiale a mis fin à nos timides espoirs.
Effectivement, à cette occasion, la FAO a publié son rapport annuel sur la situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture en éludant l’impact du changement climatique sur la sous-nutrition.
Pourtant à Action contre la Faim, nous nous battons depuis près de deux ans pour que l’impact du changement climatique sur l’agriculture et la sécurité alimentaire soit reconnu : nous avons demandé et obtenu que la sécurité alimentaire soit mentionnée dans l’Accord de Paris durant la COP21 en décembre 2015, dénoncé des fausses solutions comme l’Alliance mondiale pour l’agriculture intelligente face au climat (GACSA) ou encore le projet 4 pour 1000 qui éludent les questions des droits des populations et de la sécurité alimentaire tout en annonçant répondre aux défis du changement climatique. Nous avons également dénoncé le manque de préparation et le retard de la réponse de la communauté internationale à la crise alimentaire due au phénomène El Niño, qui a entrainé 60 millions de personne dans l’insécurité alimentaire en 2016.
Aujourd’hui, nous sommes tous d’accord : l’alimentation et l’agriculture doivent changer. Mais là où les avis divergent c’est sur le QUAND et le COMMENT! Il y a pourtant urgence, la trajectoire fournie par les Etats à la COP21 nous mène vers un monde plus chaud de 3°C par rapport à l’ère préindustrielle. A ces températures encore jamais connues par l’homme, la sécurité alimentaire serait fortement mise à mal par les catastrophes naturelles, la désertification et l’élévation du niveau des océans. La science est unanime et la société civile du monde entier appelle de plus en plus fort à un changement radical et rapide des modèles agricoles ; notre agriculture industrielle et chimique est responsable de près de 30% des émissions mondiales de gaz à effet de serre tandis que l’uniformisation des semences et des pratiques la rend plus sensible aux chocs climatiques.
Le rapport annuel de la FAO sur la situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture publié aujourd’hui reprend le chiffre que nous avons martelé ces dernières années : en 2080 jusqu’à 600 millions de personnes supplémentaires pourraient souffrir de la faim à cause du changement climatique. Il souligne que l’Afrique sub-saharienne et l’Asie du sud et du sud-est seront les plus touchées. Hélas, le document fait une quasi-impasse sur l’impact du changement climatique sur la sous-nutrition. Quelle occasion loupée pour la FAO au moment même où la communauté nutrition est en train de prendre la mesure du défi !
Ce lundi matin, lors de l’ouverture de la session de négociations annuelles du Comité pour la Sécurité Alimentaire mondiale, on ne savait plus que penser. D’abord, la déléguée de l’Argentine a prononcé un discours ému sur les impacts du changement climatique sur la sécurité alimentaire alors que son pays s’opposait à son inclusion dans l’Accord de Paris pour ne pas menacer les intérêts commerciaux du pays. Puis les représentants du secteur privé en plénière et lors d’évènements parallèles, ont tenté d’expliquer, longuement, comment seule la science pourrait nous sortir du marasme. C’est tellement plus confortable de dire que nous n’avons pas besoin de changer les fondements de notre relation à la terre et à l’alimentation, ou, à minima de la questionner.
La société civile, une année encore, s’époumone à dire que la solution est sous nos yeux et que des millions d’agriculteurs savent très bien ce qu’il faut faire : préserver la biodiversité des semences locales et paysannes, protéger et préserver les sols avec l’agroécologie, promouvoir et respecter les droits de l’homme, renforcer le pouvoir des femmes et remettre les agriculteurs au sein de la gouvernance de la sécurité alimentaire.
On nous écoute poliment et une fois le micro éteint on tourne des yeux avides de solutions faciles vers ceux qui nous parlent d’un eldorado de biotechnologies et de nouvelles technologies de l’information et de la communication. A quand l’âge de raison ?
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Peggy Pascal, Responsable du Pôle Plaidoyer, Positionnement et Approches Techniques, Action contre la Faim
Bertrand Noiret, Chargé de Plaidoyer Changement Climatique, Action contre la Faim