Où en sommes-nous ?
D’après le dernier rapport mondial sur les crises alimentaires (rapport SOFI), 735 millions de personnes ont souffert de la faim en 2022. Plus globalement, 2,4 milliards de personnes, dont une majorité de femmes et de jeunes filles, n'ont pas accès à une nourriture saine et suffisante. Les enfants sont les plus impactés par la sous-nutrition avec 1 enfant sur 5 qui aura des conséquences irréversibles sur son développement et 45 millions d’enfants tellement sous-nutris que leurs chances de survie sont divisées par 12. L’éradication de la faim d’ici 2030 semble impossible.
Quel rôle pour la France ?
Dans la foulée de la Journée Mondiale de l’alimentation, la France accueillait les 18 et 19 octobre, la première réunion interministérielle de la Coalition mondiale pour l’Alimentation Scolaire, dont l’objectif affiché est de permettre à chaque enfant de recevoir un repas quotidien sain et nutritif à l’école d’ici à 2030. Bien que l’initiative soit louable, il nous semble impératif de rappeler qu’au regard de la situation, les efforts à déployer doivent être beaucoup plus conséquents. L’alimentation scolaire est loin d’être suffisante (notamment parce que les enfants les plus concernés par la faim et la sous-nutrition ne sont pas systématiquement inscrits à l’école) et ne doit pas concentrer l’essentiel des efforts diplomatiques de la France en matière de sécurité alimentaire.
La France s’est engagée à accueillir le sommet international Nutrition for Growth (N4G) à l’horizon 2024-2025. En organisant ce sommet, la France envoie un signal fort et acte sa volonté d’avoir de l’influence dans la lutte contre la sous-nutrition dans le monde. Pourtant, aucune annonce officielle n’a encore été faite. L’Elysée et le Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères (MEAE) repoussent l’échéance, faisant planer le doute sur les ambitions du sommet. Dans ce contexte qui mêle l’urgence à l’incertitude, nous appelons la France à ne plus attendre et à mettre les moyens financiers et humains nécessaires à la réalisation d’un sommet ambitieux, qui traite les problématiques de la faim et de la sous-nutrition en s’attaquant à ses causes politiques et structurelles.
Par souci d’exemplarité et de pertinence, il est aussi primordial que l’organisation du sommet adopte une approche inclusive des sociétés civiles des pays les plus concernés pour que les engagements politiques et financiers répondent avant tout aux besoins prioritaires des communautés locales. Les expertises des sociétés civiles du Sud global doivent être centrales dans l’élaboration des réponses politiques et programmatiques.
Aussi légitimes soient-elles, les sociétés civiles sont souvent exclues de ces espaces de dialogues, volontairement ou indirectement par manque de ressources humaines et financières pour siéger à ces nouveaux espaces de gouvernance. Bien souvent, on observe une forte asymétrie de pouvoir lors des négociations entre les intérêts des premiers concernés et des sociétés privées commerciales internationales. Sur la base de ce constat, nous tenons à réaffirmer que malgré l’importance de la concertation avec tous les acteurs, les intérêts privés, ne peuvent être considérés comme aussi légitimes que les intérêts des peuples et la mise en application de leurs droits les plus fondamentaux tels que l’accès à une nourriture saine et durable en quantité suffisante.
Avoir le courage d’agir sur les causes politiques et structurelles de la faim
Les pays avec de fortes inégalités socio-économiques et de genre, avec un accès limité aux services essentiels, en proie à des conflits et impactés par les crises climatiques sont les plus concernés par la faim et la sous-nutrition. Les régions africaines du Sahel et de la Corne de l’Afrique en sont l’exemple le plus concret. On y observe l’augmentation la plus rapide du nombre de cas de sous-nutrition sévère et chronique ces dernières années. Face à ces causes structurelles, seules des réponses structurelles seraient pertinentes et durables :
Pour réduire les impacts de la pauvreté et des inégalités de genre, il faut améliorer l’accès aux services essentiels (santé, eau, hygiène, etc.), mettre en place une couverture santé universelle accessible à toutes et tous et apporter un soutien financier particulier durant les 1000 premiers jours de l’enfant, sans distinction de revenus.
Pour faire face aux crises climatiques, l’agroécologie paysanne doit être au centre de toute transformation des systèmes alimentaires. Au-delà d’apporter une solution concrète aux effets délétères des systèmes alimentaires dominants (manque d’accessibilité aux ressources dans les milieux ruraux, émission de gaz à effet de serre, épuisement des ressources naturelles, exploitation humaine, concentration des richesses, etc.) il s'agit aussi de la voie à suivre pour une souveraineté alimentaire synonyme de rempart contre la faim et la sous-nutrition.
Pour en finir avec l’impact des conflits sur la faim, la communauté internationale doit user de sa diplomatie pour veiller au respect et à l’application du Droit International Humanitaire, garantir un accès humanitaire sans condition en zone de crise, sans instrumentalisation politique, et empêcher l’utilisation de la faim comme arme de guerre.
La France doit s'engager activement à placer les causes politiques et structurelles de la faim et de la sous-nutrition au cœur du prochain sommet N4G. Et ainsi, faire de ce rendez-vous incontournable, l’opportunité de prendre des engagements politiques nouveaux, co-construit avec les personnes touchées, en réponse à l'urgence et aux tragédies humaines qui se cachent derrière les chiffres.