La question mérite d’être posée aux vues des derniers chiffres sur la part de l’aide publique au développement dédiée à la sécurité alimentaire et la lutte contre la sous-nutrition. La France s’est engagée ces dernières années à faire de la lutte contre la faim une priorité dans le cadre d’une politique d’aide au développement que François Hollande voulait « ambitieuse ». Ses engagements sont aujourd’hui en réalité très fortement remis en cause. La France 6ème puissance économique mondiale a-t-elle renoncé à prendre sa part dans la lutte contre la faim dans le monde ?
Après les crises alimentaires de 2008, la France décide de consacrer 2,1 milliards de dollars à l’amélioration de la sécurité alimentaire mondiale pour la période 2009-2011. Cet engagement pris au sommet du G8 en 2009 place alors la France parmi les champions de la cause. L’alternance politique nationale ne change pas la priorité donnée à la lutte contre la faim puisqu’en juillet 2013, c’est le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) qui réaffirme la priorité de soutenir les agriculteurs pour lutter contre l'insécurité alimentaire et la pauvreté. Puis en 2014, c’est au tour de la loi d’orientation et de programmation pour le développement (LOP-DSI) de consacrer la sécurité alimentaire et nutritionnelle parmi ses priorités. La même année, et à l’occasion de l’année internationale de l’agriculture familiale, la France multiplie les annonces de soutien aux petits agriculteurs. De son côté, l’Agence française de développement (AFD) affiche son intention de doubler ses investissements en faveur de l’agriculture et la sécurité alimentaire[1], soit 400 millions d’euros par an pour la période 2013-2016.
Oui mais voilà, les chiffres nous disent autre chose. Tandis que plus d’1 milliard de personnes souffrent encore de la faim et la sous-nutrition, l’aide française dans ce domaine ne cesse de diminuer. Déjà, le rapport de redevabilité du G8 2013 tirait la sonnette d’alarme en rappelant que la France n’avait honoré que 54% de ses engagements pris en 2009. Récemment, c’est l’AFD qui a fait marche arrière. Après 338 millions d’euros en 2013, les investissements en faveur de l’agriculture et la sécurité alimentaire ont connu une chute de 47% en 2014 pour atteindre 181 millions d’euros, loin des 400 millions annuels annoncés. Une telle baisse des financements est une première. Pour tenir les engagements pris dans son cadre d’intervention sécurité alimentaire, l’AFD doit désormais investir un milliard d’euros dans ce secteur d’ici à la fin 2016. Enfin, le nombre de petites exploitations familiales soutenues en 2014 est lui aussi en baisse.
Plus globalement, l’OCDE nous rappelle que l’aide publique au développement (APD) française a baissé de près de 20% depuis 2012. La lutte contre la faim a-t-elle subi ce strict régime budgétaire ? Le désintérêt de la France pour cette cause est incompréhensible lorsqu’on voit l’énergie de la diplomatie française sur le climat et la reconnaissance du Ministre Laurent Fabius sur la nécessité de lier les agendas faim et climat. Car les prévisions sont effrayantes: le changement climatique accroît déjà la faim dans le monde et 600 millions de personnes supplémentaires en souffriront en 2080.
Consciente de ces enjeux, l’Allemagne entend saisir l’opportunité de la présidence du G7 pour que le sommet de juin aboutisse à des engagements financiers ambitieux. C’est un signal fort dans la perspective de l’adoption des futurs objectifs de développement durable (ODD) en septembre qui visent à éradiquer la faim en 2030.
Alors que l’actualité nous rappelle sans cesse le drame de la faim et de l’extrême pauvreté, Action contre la Faim demande à la France de prendre ses responsabilités et de saisir à son tour cette opportunité portée par le G7 pour augmenter son aide à la lutte contre la faim et la sous-nutrition. François Hollande peut s’appuyer sur le soutien de l’opinion française qui considère ces enjeux parmi les défis les plus importants du développement[2].
Renoncer ne peut plus être une option.
[1] Cadre d’intervention sectoriel de l’AFD pour la sécurité alimentaire en Afrique subsaharienne (2013-2016).
[2] Baromètre AFD 2014, Les Français et la politique d’aide au développement de la France