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Billet de blog 27 mars 2015

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Un an après, la leçon Ebola!

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Avec près de 10 000 décès selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et plus de 22 000 personnes contaminées en Afrique de l’Ouest, la baisse de la propagation du virus Ebola est enfin une réalité depuis le début de cette année. Pour autant, la bataille n’est pas gagnée en particulier en Guinée et en Sierra Leone, et tant qu’il subsistera des personnes infectées, on ne pourra pas considérer que l’épidémie est vaincue.

Pourquoi a-t-il fallu autant de temps et de pertes humaines pour parvenir à contenir cette dernière épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest ? Au-delà de l’impact en vie humaine, nous voyons que c’est tout un système sanitaire, social et économique qui se retrouve frappé par ces épidémies. Sommes-nous condamnés à les subir ou pouvons-nous endiguer ces épidémies qui ne connaissent pas de frontières entre les espèces et les territoires ?

Il y a un an, le 21 mars, alors que nous étions réunis à l’occasion du comité annuel de suivi des activités du P4 Jean Mérieux – INSERM de Lyon, nous avons eu la confirmation, grâce à l’identification du Dr Sylvain Baize de l’équipe Pasteur-Inserm, que nous étions face à une douzième épidémie Ebola en Guinée. Provenant de la guinée forestière, les échantillons suspects avaient pu être acheminés par les équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) avec l’accord la cellule de crise guinéenne dirigée par le Dr Aboubacar Sidiki Diakité.

Même si l’OMS n’a pas tardé à déclarer le 25 mars la confirmation d’une nouvelle épidémie Ebola, la plupart des spécialistes s’accordaient sur le fait que, comme ce fut le cas pour la vingtaine d’épidémies survenues depuis 40 ans, on ne dépasserait pas les 500 cas et que le virus serait éteint dans les 2 à 3 mois [1]. Malgré les appels répétés de MSF, en première ligne dans ce combat, il aura fallu attendre le 18 septembre 2014 la résolution 2177[2] du Conseil de Sécurité pour que la communauté internationale se mobilise véritablement face à « la menace globale » que constituait le virus Ebola.

La réponse internationale à l’appel des Nations Unies fut conséquente à partir de septembre avec le déploiement par les Etats-Unis de 3000 militaires au Liberia pour l’installation de plusieurs centres d’hospitalisation mobiles, l’engagement financier de 150 millions d’euros par l’Union Européenne, l’installation de centres de traitement et de formations en Guinée soutenu par la France et la contribution de nombreux Etats tels que le Royaume Uni, le Brésil et la Chine.

Si la grippe[3] tue annuellement plus qu’Ebola, il y a longtemps que l’humanité n’avait pas eu à faire face à un virus entrainant une aussi forte létalité pouvant aller jusqu’à 90%[4].

Cette crise Ebola a vu la disparition de nombreux personnels de santé en première ligne face aux patients infectés, sans vaccin disponible et souvent sans équipement de protection adapté[5]. Le manque de préparation et la faiblesse des systèmes de santé ont eu un impact considérable sur les populations africaines touchées. Beaucoup de familles ont perdu l’un des leurs et se retrouvent vulnérables en termes de revenus. Les pertes humaines de l’épidémie s’accompagnent de pertes économiques importantes en raison des entraves en termes de transport et de circulation des biens. Action contre la Faim (ACF) a dû renforcer dès le mois d’avril 2014 ses actions de sécurité alimentaire pour faire face aux risques d’insécurité nutritionnelle[6].

Les personnels de santé fortement touchés par le virus Ebola et prioritairement accaparés par l’épidémie n’ont pas été en mesure de pouvoir soigner tous les patients souffrant d’autres maladies. Ebola a complexifié le rapport entre « soignants et patients » en raison de l'impossibilité de toucher directement les patients, et donc obligé à réduire les examens au strict minimum, en portant systématiquement les combinaisons de protection.

Comme le soulignait ACF, l’épidémie a eu un effet sur la lutte contre la malnutrition témoignant que  « les enfants ne sont plus mesurés ni pesés, seule la mesure brachiale (MUAC) et le test d'appétit sont toujours réalisés »[7]. Les besoins en réhydratation étant très important pour les patients atteints d’Ebola, on a assisté à une pénurie de kits de réhydratation, pourtant indispensable pour soigner les enfants atteints de diarrhée[8]. Les mêmes conséquences négatives secondaires à Ebola sont liées à la prise en charge des patients VIH, atteints de Paludisme ou dans le domaine des vaccinations infantiles (rougeole,…)

Si des centres de santé équipés avec des personnels formés avaient été disponibles en région, des milliers de vies auraient pu être épargnées et le virus n’aurait pas rencontré autant d’hôtes disponibles. En effet, la baisse de la propagation du virus Ebola en Afrique de l’Ouest, confirmée depuis le début de cette année est dû prioritairement à la capacité de détection et d’isolement des patients infectés et la pratique d’enterrements sécurisés pour les morts d’Ebola[9].

Au-delà des aspects médicaux et scientifiques, la dimension sociale et anthropologique d’une épidémie est encore trop souvent négligée et nécessite une approche appropriée dans le respect du contexte culturel. La transversalité des enjeux incite les experts à croiser leurs connaissances pour envisager des réponses encore plus adaptées, portées localement par les responsables communautaires et politiques.

L’attention internationale a été portée à juste titre sur le manque d’un vaccin et d’un traitement face à ce virus Ebola, mais on ne doit pas occulter la faiblesse du système de santé et l’importance de le renforcer. Trop souvent négligés par les responsables nationaux et internationaux, ils doivent devenir une priorité si l’on veut être en mesure de contenir les épidémies telles qu’Ebola et les pandémies telles que le SIDA.

L’action de MSF a été remarquable et conséquente en raison notamment de la défaillance des systèmes de santé des trois pays frappés par Ebola en Afrique de l’Ouest. La question de l’appropriation des capacités de diagnostic et de traitement est un enjeu qui passe par une volonté politique affirmée des ministères de la santé et par un partenariat dans la durée pour accroitre le niveau de compétences et les équipements. A titre d’exemple, le programme RESAOLAB, lancé en 2009 au Mali, Sénégal et Burkina-Faso et qui concerne aujourd’hui 7 pays de l’Afrique de l’Ouest, dont la Guinée, a montré que les pays qui se dotaient d’un bon réseau de laboratoires de biologie clinique avaient la capacité de lutter contre la propagation d’une épidémie. Ce programme fait partie des quelques actions multipartenaires publics et privés, soutenus par l’Agence Française de Développement (AFD) qui doivent être encouragées et développées par une appropriation des capacités locales.

Au global, la France a engagé jusqu’ici plus de 200 millions d’euros avec plusieurs centaines de personnels impliqués, publics et privés, dans la mise en œuvre de dizaines de projets sur le terrain. L’INSERM s’est mobilisé dans plusieurs grands projets de recherche opérationnelle pour la recherche d’un médicament actif contre Ebola en particulier le Favipiravir, la participation à des essais vaccinaux et la mise en place d’une cohorte des survivants pour leur suivi. Des programmes de recherches en sciences humaines et sociales, essentielles dans cette épidémie où l’impact sociétal est majeur, ont également été lancés. Un Institut Pasteur va être aménagé à Conakry.

Quelles que soient les évolutions de la gouvernance mondiale sanitaire, sans une action locale en faveur de la construction de véritables systèmes de santé, on ne parviendra pas à avoir un impact suffisant pour faire face efficacement aux épidémies et plus globalement aux maladies infectieuses. La question de la responsabilité des gouvernements et des ministères face aux enjeux de santé publique doit être suivie de près afin d’inciter et d’encourager les responsables politiques à prendre les mesures de protection des populations dont ils ont la charge. La vulnérabilité sanitaire des pays dépourvus de système de santé concerne aussi les pays développés car ils peuvent se retrouver à tout moment exposés à des pathogènes émergents ou ré-émergents.

Professeur Jean-François Delfraissy, Coordinateur National EBOLA, Directeur de l’IMMI et de l’ANRS,

Benoit Miribel, Directeur général de la Fondation Mérieux et Président d’Honneur d’Action contre la Faim.


[1]« Chacun (y compris le modeste auteur de ce texte) prédisait que, tout comme pour la vingtaine d’épidémies connues depuis 1976 n’ayant jamais dépassé les 500 cas, les choses allaient se calmer rapidement. De fait, en mai, l’incidence baissait… avant de repartir en flèche ! » La lettre de l’Infectiologue -  Octobre 2014- Edito du Professeur Olivier Bouchaud.

[2] Les objectifs principaux étaient de limiter la propagation du virus, d’assurer les services de bases, de soigner les malades, prévenir la maladie et contribuer à préserver la stabilité.

[3] Selon l’OMS, la grippe hivernale tue en moyenne chaque année entre 300 et 500 000 personnes ;

[4] Le virus Ebola identifié en 1976 est caractérisé par une forte létalité qui a pu atteindre plus de 90% dans les épidémies précédentes. Le taux de létalité est le rapport entre le nombre de cas contaminés et le nombre de décès. L’épidémie Ebola Makena (2014), proche d’Ebola Zaire, a une létalité estimée entre 60 et 70%. Le virus Ebola fait partie de la famille des Filovirus qui regroupent les virus les plus dangereux tels que Marburg, Fièvre de Lhassa et Ebola.

[5] Rapport du Dr Christophe Peyrefitte effectué en Guinée en septembre 2014 pour inventorier les capacités des laboratoires de biologies cliniques. Source RESAOLAB 2014.

[6] www.actioncontrelafaim.org

[7] Témoignage de Julie Calafat, coordinatrice des programmes ACF au Liberia. 27 novembre 2014. Site ACF.

[8] Selon l’OMS, la diarrhée tue chaque année dans le monde plus 760 000 enfants. http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs330/fr

[9] Interview de l’auteur avec Sylvain Baize de l’Institut Pasteur à Wuhan-Chine le 31 janvier 2015

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