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Billet de blog 29 avril 2013

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Monrovia, plus cher que Toulouse ou Bordeaux: à qui la faute?

Trouver un hôtel à moins de 60 euros la nuit à Monrovia relève du challenge. Et encore, l’électricité en continu ou l’eau chaude ne sera pas garantie même pour un hôtel correct à 115 USD la nuit. Ensuite, pour dîner, tout en restant dans le quartier de Mamba Point, il faut encore compter 15 USD le plat minimum ou 8 USD la bière dans un bar un peu branché.

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Trouver un hôtel à moins de 60 euros la nuit à Monrovia relève du challenge. Et encore, l’électricité en continu ou l’eau chaude ne sera pas garantie même pour un hôtel correct à 115 USD la nuit. Ensuite, pour dîner, tout en restant dans le quartier de Mamba Point, il faut encore compter 15 USD le plat minimum ou 8 USD la bière dans un bar un peu branché. Mais attention, il est possible de déguster des maki california dans l’un des divers sushis bars climatisés de la zone. Compter 40 USD le repas, bière comprise. Panne de savon ? 20 USD suffiront pour un simple flacon de gel douche de couleur douteuse, fermé par du scotch noir. Et si par hasard vous comptez vous installer plus longuement, il faudra débourser pas moins 2500USD par mois pour un appartement 2 chambres de qualité moyenne.

Vous n’êtes pas à Manhattan mais bien à Monrovia, au Libéria dans l’un des plus pauvres pays du monde, le 167ième sur 183 en termes de PIB (classement Banque Mondiale et FMI 2011), les 182ième sur 187 en termes d’indice de développement humain (site du Ministère des Affaires Etrangères).

Mais alors, qui peut payer ces prix exorbitants ? Inaccessible pour les Libériens, qui ne peuvent qu’observer de l’extérieur à moins d’y travailler en tant que serveur. Seuls les soldats de la MINUL et les expatriés qui travaillent pour les agences des Nations Unies, les bailleurs de fonds institutionnels ou bien les ONGs internationales peuvent se le permettre.

Le problème n’est pas nouveau. L’impact économique de l’arrivée d’une force de maintien de la paix et d’opérations humanitaires de grande envergure est inévitable. Mais doit-il vraiment prendre une telle ampleur ? Est-il nécessaire pour ces expatriés de faire construire des piscines avec vue sur la mer (aux travers des barbelés de sécurité), d’avoir à disposition des sushis bars, des Starbucks et autres Dunkin Donuts pour faire correctement leur travail et vivre une vie agréable ? Personne ne les a obligés à choisir ce métier-là, après tout. Et si tout ce luxe leur est nécessaire, alors il est peut-être préférable pour tous qu’ils restent dans leur pays d’origine sans importer leur mode de vie décalé et provocateur dans les pays les plus pauvres de la planète ?

Autre phénomène apparemment incontournable : les salaires du personnel local n’ont aucune commune mesure avec les salaires pratiqués généralement dans le pays. Le site des UN propose en ce moment même un poste de chauffeur, payés à 5168 USD par an dans un pays où 90% de la population doit vivre avec moins de 2 USD par jour, soit 10 fois moins. Est-ce nécessaire ? Avec leur force de frappe financière, les Nations Unis allongent les dollars pour recruter les meilleurs chauffeurs, gardiens, comptables et experts de la région, obligeant les ONGs à s’aligner autant que possible sur des salaires en décalage complet avec les revenus des locaux.

Les organisations humanitaires, les forces de maintien de la paix créent en déroulant leurs opérations une économie parallèle dont dépendent des milliers de personnes. Et ce partout dans le monde, depuis des dizaines d’années.

Cette économie est par nature éphémère et déstabilisante. Au Libéria, par exemple, la MINUL a décidé de quitter le Libéria, plus de 10 ans après la fin de la guerre civile. Que vont devenir les logements climatisés qui accueillaient les 15 000 soldats et gendarmes de la force de maintien de la paix ? Les sushi bars et les Starbucks ?
Le comble est que cette économie parallèle n’a pas forcément bénéficié uniquement les Libériens. Car les hôtels, les logements de fonction, les boutiques et autres restaurants sont largement détenus par la communauté libanaise implantée au Libéria.

Dans un contexte où la moralisation est devenue un adage international et où la France soutient l’implantation d’une force de maintien de la paix au Mali, il est peut-être temps de se pencher sur le comportement des expatriés des Nations Unis et des organisations de solidarité internationale dans les pays d’intervention.
Attention, s’il est vrai que les conditions de vie et de travail de ces expatriés peuvent être particulièrement stressantes et que des compensations sont sans doute nécessaires pour résister aux tensions et à la charge de travail, l’impact des besoins de la population expatriée n’est pas uniquement économique. Il influe également sur l’image de ces intervenants étrangers dans les pays du Sud.
Un changement comportemental est souhaitable par souci de respect non seulement de l’économie locale mais aussi des habitants des pays, à qui l’on peut épargner un étalage indécent de richesses matérielles dans des contextes d’extrême pauvreté.

Stéphanie RIVOAL,
Vice-Présidente d’Action Contre la Faim

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