Par Claire Even, chargée de plaidoyer changement climatique et faim, et Mike Penrose, directeur général d'Action contre la Faim.
Aujourd’hui, 800 millions de personnes ne mangent pas à leur faim dans le monde. Les changements climatiques agissent comme un facteur aggravant qui touche les pays et les populations les plus fragiles. Leurs conséquences sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle sont visibles au Sud comme au Nord et ne se limitent pas à la baisse des rendements agricoles. La stabilité des prix et l’accès à l’alimentation sont directement affectés, ce qui pénalise d’abord les plus vulnérables au fléau de la faim : les femmes, les enfants, les petits producteurs des pays les plus pauvres, ceux-là même qui sont les moins responsables des changements climatiques.
En 2050, la population mondiale dépassera les 9 milliards. A moins de 100 jours de la COP21, c’est bien le plus grand défi de notre temps qui se pose là: comment nourrir l’humanité sans détruire davantage la planète et en s’adaptant aux impacts déjà visibles des changements climatiques ?
Rassemblées à Milan pour l’Exposition universelle 2015, les institutions internationales comme la FAO, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, donnent leur réponse: il faut augmenter la production alimentaire de 70% d’ici 2050. Et dans un contexte de changement climatique, il faut le faire à moindre coût pour l’environnement. Vaste programme.
Intensification durable, productivisme soutenable, agriculture intelligente face au climat : tant d’intitulés à première vue séduisants fleurissent chaque jour. Des concepts largement appuyés par les firmes agro-industrielles, elles-mêmes principales responsables des émissions de gaz à effet de serre du secteur. Pourtant, nous produisons aujourd’hui l'équivalent de 4 500 kcal par personne et par jour, soit deux fois plus que les besoins journaliers des 7 milliards d’individus qui peuplent la planète. Paradoxe affligeant : alors qu’une personne sur 9 souffre de la faim, 2 milliards sont en surpoids. Belle imposture de nous faire croire qu’en augmentant la production agricole nous réglerons le problème. Nous ne pourrons pas relever le défi de la faim tant que la question des inégalités et de la répartition alimentaire à l’échelle de la planète n’est pas résolue pour de bon.
Face à l’urgence climatique, nous faisons fausse route, préférant favoriser un cortège de fausses solutions miracles: transformation génétique, semences améliorées, engrais de synthèse, entre autres. Des solutions finalement pas si nouvelles, inabordables pour les petits paysans mais lucratives pour les géants du marché. Des solutions qui ont prouvé par le passé qu’elles ne permettaient pas de répondre au fléau de la faim, et qu’elles portaient directement atteinte à la biodiversité végétale et animale. Et tous les modèles agricoles n’ont pas les mêmes impacts sur le climat, la sécurité alimentaire et nutritionnelle, l’autonomie des plus vulnérables et les droits humains. Il est inconcevable que des pays comme la Chine ou le Brésil refassent nos erreurs : produire, consommer et gaspiller toujours plus. Toutefois, en bons donneurs de leçons, notre exigence d’exemplarité est impérieuse. Seules des politiques agricoles et alimentaires centrées sur les intérêts et les droits des petits producteurs et des pratiques telles que l’agro-écologie permettront de lutter conjointement contre la faim et le changement climatique.
Nourrir la planète ne se limite pas à garantir une quantité de calories minimum pour chaque individu. L’alimentation n’est pas une marchandise, mais un droit dont jouit, en principe, chaque individu, dans la dignité humaine et l’équité. Ni l’augmentation des rendements ni les technologies n’apporteront des solutions durables. Face à ce double défi de la faim et du changement climatique, la biodiversité, le juste partage des ressources et la solidarité entre les peuples seront nos premiers alliés.