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Billet de blog 26 février 2014

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"Laissez les petits s'exprimer!" - La cour constitutionnelle Allemande abolit le seuil à 3% aux élections européennes.

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C'est une décision historique en Allemagne. La cour constitutionnelle a abolie le seuil électoral légal de 3% aux élections européennes, après avoir déjà fait de même pour le seuil à 5% précédent, argumentant qu'aucun tel seuil n'est compatible avec le principe d'égalité des électeurs face à l'élection. Cette décision est triplement historique. Premièrement elle culmine la montée en puissance de la cour constitutionnelle Allemande. Deuxièmement elle marque la fin du monopole des partis les plus puissants quant au choix du mode de scrutin et de leur compromis intéressés. Finalement, et surtout, cette décision est l'annonce de la chute probable du seuil électoral légal à 5% aux élections législatives nationales Allemandes, à cause duquel 15,7% des voix exprimées avaient été ignorées à l'élection législative d'octobre dernier.

Il est souvent considéré que la représentation proportionnelle des partis au parlement mène à l'éclatement des partis. Rien ou presque ne pénalise une frange d'un parti qui déciderait, sur un désaccord avec la tendance majoritaire, de se séparer du parti. Du fait avec le temps une multitude de partis pourrait naitre. Beaucoup de politologues argumentent que la multitude de partis rend difficile les compromis au sein du parlement rendant les réformes plus lentes, que les compromis larges mène à des dépenses plus élevées et que les électeurs ne se retrouvent plus dans la multitude de choix. Face à cette peur de la fragmentation des partis suite à la Weimarer Republik, qui avait connu un tel éclatement et avait facilité la montée du nazisme, l'Allemagne a inscrit un seuil électoral légal à 5% dans sa loi électorale pour les élections législatives après la guerre. Les voix d'électeurs votant pour un parti obtenant moins de 5% des voix sont ignorées. Historiquement cela a représenté généralement entre 1 et 3% des voix, avec cependant un pic à 8% après la réunification et à 15,7% aux dernières élections (voir mon dernier article de blog). Pour les électeurs proches de petits partis - observation subjective de 2 élections législatives et 7 ans vécus en Allemagne - la décision est semblable à celle d'un vote tactique. D'un coté il est souvent improbable que le parti en question fasse son entrée au parlement, cependant plus il obtient de voix, plus la presse donne de la voix à ses positions et parle de l'actualité du parti, plus il a de chances aux prochaines élections et plus l'état rembourse la campagne électorale (elle même faisant de la publicité à ses idées). La décision dépend donc de la proximité d'autres partis éligibles des idées de l'électeur et des possibles coalitions gouvernementale que l'électeur souhaite éventuellement également influencer. Certains politologues affirment du fait que les seuils électoraux sont efficaces seulement jusqu'à un certain degré. Si le mécontentement avec les partis classiques devient trop grand ou si de nouveaux différents politiques apparaissent, il y a une explosion des votes pour des petits partis, malgré le risque de voir sa voix ignorée. Toutefois, malgré ses désavantages, le seuil électoral a l'avantage de ne pas modifier la proportionnalité entre les votes exprimés et les sièges obtenus pour les partis au parlement, contrairement à la quasi-totalité des concepts alternatifs limitant la fragmentation des partis politiques. Du fait, les Allemands reconnaissant largement la proportionnalité entre les suffrages et les sièges comme but politique d'un mode de scrutin, ils ont transposé ce système pour les élections européennes.

Aujourd'hui, mercredi 26 Février 2014, la cour constitutionnelle Allemande a cependant tranché suite à une plainte de l'association "Mehr Demokratie e.V." ("Plus de Démocratie") : la peur d'un parlement européen inefficace dû à une haute fragmentation des partis ne suffit pas pour justifier l'inégalité du poids des voix des citoyens et l'inégalité des chances des partis. "Mehr Demokratie e.V." fait valoir qu'il y a actuellement 160 partis au parlement européen et que ceux-ci y forment des groupes parlementaires larges. Une augmentation du nombre de partis possible ne devrait donc pas rendre le parlement européen infonctionnel.

C'est une démonstration de force de la cour constitutionnelle Allemande qui s'oppose à l'union européenne qui avait demandé aux états d'introduire des mesures limitant la fragmentation, au parlement Allemand qui avait déjà abaissé le seuil à 3% suite à un précèdent jugement de la cour constitutionnelle et à la position majoritaire des chercheurs en sciences politiques dont l'assomption est qu'une haute fragmentation du parlement doit être évitée pour maintenir la gouvernabilité de l'état. Ce n'est pas une première pour la cour constitutionnelle, mais on peut observer ces dernières année sa montée en influence sous la présidence d'Andreas Voßkuhle. Ainsi elle avait déjà forcé le gouvernement à augmenter ou du moins recalculer de façon plus réaliste les allocations chômages au nom de la garantie de la dignité humaine par l'État inscrit dans la constitution. Le président Andreas Voßkuhle s'était également attiré les foudres de certains hommes politiques en s'immisçant au débat politique hors de tout procès. Du fait le débat de la légitimité et la nécessité de ce contre pouvoir législatif fortement indépendant n'est jamais loin.

Cette décision, c'est aussi la fin du monopole de décision des partis politiques sur le mode de scrutin. C'est un argument souvent avancé à l'encontre de la recherche normative - donc qui cherche l'idéal plutôt que de comprendre la situation actuelle - dans ce domaine: en fin de compte ce sont les partis politiques qui choisissent le mode de scrutin et ils ne cherchent pas à mettre en place le système le plus juste, mais celui qui les sert le mieux sans perdre d'acceptation au sein de la population. C'est une chose en effet souvent observée, que ce soit pour le court épisode d'élection proportionnelle en France en 1986 ou la récente modification du mode de compensation proportionnelle des sièges à l'élection législative Allemande. En ceci la situation actuelle est prometteuse: une association citoyenne, certes fortement académicienne, modifie le mode de scrutin au nom de buts normatifs, forçant le parlement à une loi électorale moins intéressée.

Finalement, c'est aussi l'annonce d'abolitions en chaine des seuils électoraux en Allemagne. En effet, à peine son procès gagné "Mehr Demokratie e.V." se tourne déjà vers les élections législatives nationales et régionales, en particulier de Bavière ou 14% des voix sont tombés sous la table. Et en soi, très peu dans le jugement de la cour constitutionnelle limite sa transposition à ces élections. Les arguments principaux énoncés par les juges y ont la même validité. Certes, le parlement Allemand ne comporte actuellement que 4 partis (5 si on compte la CDU et la CSU séparément) et une fragmentation des partis aurait donc plus d'impact. Mais la situation au parlement européen laisse penser qu'il est possible de garder un parlement fonctionnel en incitant à la formation de groupes parlementaires englobant plusieurs partis. Il est à attendre qu'il ne faudra pas attendre longtemps avant que la cour soit saisie sur ce sujet.

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